Fatiha Boudjahlat : « L’Éducation
nationale est une pyramide de Ponzi qui va bientôt s’effondrer. »
Les caméras de France 2 se sont
prêtées de bonne grâce à l’opération de communication
désolante de l’académie de Versailles sur son « job dating »,
30 minutes pour devenir prof. Cela tient de Tinder, cet «
adopte-un-prof », c’est le coup d’un soir. Ils ne seront formés
que quelques jours en août, pour boucher les trous créés et
creusés par une décennie d’austérité budgétaire. Il y a de
l’argent, le ministre Blanquer avait même rendu 300 millions
d’euros de crédits non utilisés l’an dernier.
Mais l’argent n’est plus utilisé
pour assurer un vivier de professeurs diplômés, compétents,
formés, recrutés sur concours. Il sert à communiquer, il se perd
en « projets Zinnovants », dotations de tablettes, arrosage des
associations de parents d’élèves, des syndicats de lycéens
(comme si être lycéen était un métier), financement du dialogue
social par des décharges horaires et avantages pantagruéliques
accordés aux délégués syndicaux qui finissent tous à la
hors-classe pour prix de leur complaisance.
Mais partout en France, et
particulièrement dans les académies difficiles comme celles de
Créteil et de Versailles, les effectifs sont à l’os, les profs
absents pas remplacés ou très mal. Les rectorats et quelques fois
les parents d’élèves passent des annonces sur le site Leboncoin,
testent LinkedIn, etc.
Le métier ne fait plus recette. Il y
a un vrai déclassement social et même intellectuel des
enseignants. On exige pourtant des derniers venus qu’ils aient
dorénavant un Master 2, qui ne prépare pas mieux à ce métier
rendu difficile par des parents tout-puissants se comportant comme
des clients, des rectorats et l’administration centrale qui ne
soutiennent pas ses profs contre ces clients rois, des effectifs
pleins en classe.
Il est attendu des profs qu’ils
déploient une pédagogie différenciée et personnalisée pour
chaque élève, enrobée et sucrée par des trésors de
bienveillance, en fait, des notes truquées pour contenter les
parents. Un mensonge qui annonce de prochaines catastrophes
industrielles : le diplôme, d’ores et déjà, n’est plus le
gage d’une compétence acquise. Les jeunes - qui ont pourtant ces
diplômes - ne sont ni employables ni autonomes.
L’Éducation nationale est devenue
une gigantesque pyramide de Ponzi, fondée sur la crédulité de
ceux qui n’ont pas les moyens de mettre leurs enfants dans le
privé sélectif, contrairement à tous les derniers ministres de
l’Éducation nationale. Faisons mine de croire en la valeur du
baccalauréat général ou professionnel. Si tout le monde y croit,
le système tiendra !
Car ces fast-profs, vite recrutés,
vite formés, vite jetés dans le grand bain, vite démissionnaires,
ne seront pas nommés dans les bons établissements et écoles des
beaux quartiers.
Quelle différence de toute façon y
a-t-il entre recruter sur entretien des personnes dont on a entendu
certains exciper comme expérience d’avoir fait faire leurs
devoirs à leurs enfants, et recruter des professeurs des écoles
sur une moyenne de 06/20, comme ce fut le cas à Créteil ? Il n’y
a eu aucune alternance idéologique au ministère de l’Éducation
nationale. Le désastreux et mensonger « socle commun de
connaissances, de compétences et de culture » avait été mis en
place par François Fillon, et renforcé par ses successeurs de
gauche.
La catastrophique réforme du bac a
pour concepteur le directeur de Sciences Po Lille, Pierre Mathiot,
aussi apprécié par la gauche que par la droite. Si Hollande avait
été réélu, c’est exactement la même réforme qui aurait été
mise en place. La nomination gadget de Pap Ndiaye, qui a vanté
l’école publique tout en mettant ses enfants dans le privé à
l’Ecole Alsacienne, n’y changera rien.
L’OCDE l’expliquait dans ses
scénarios pour l’école de demain publiés, pour la première
fois, en 2000. Les conclusions de celui intitulé « Extension du
modèle du marché » (2001) valent d’être ici reproduites :
« La mise en place d’un modèle
d’école obéissant bien davantage aux lois du marché dépendra
vraisemblablement d’un certain nombre de facteurs. Cette évolution
serait nourrie par un profond sentiment de mécontentement, à
l’égard des services en place, parmi les “consommateurs
stratégiques”, en particulier les parents de la classe moyenne
instruite et les partis politiques, en même temps que par une
culture dans laquelle l’école serait déjà considérée comme un
bien tout autant privé que public. De grands écarts de
performances scolaires renforceraient les critiques, tandis que
l’instauration à grande échelle du “modèle de marché” dans
le système scolaire irait en soi de pair avec la tolérance par la
société d’un certain niveau d’inégalité. »
L’inclusion ? Une plaisanterie.
C’est la fuite en avant de « l’adaptionnisme scolaire », terme
créé par Laurent Jaffro et Jean-Baptiste Rauzy dans leur ouvrage «
L’École désœuvrée », pour désigner « la pente actuelle
dominante dans les réflexions sur l’école et dans l’institution
elle-même, qui incline à adapter l’école à l’élargissement
de ses publics plutôt que de persévérer à amener ses nouveaux
publics à des savoirs déterminés », ce qui coûterait plus cher.
Il faut faire de la dépense scolaire publique un marché lucratif,
avec un privé majoritaire et les écoles publiques réduites à ne
s’occuper que des élèves les plus difficiles et ceux qui sont le
plus en difficulté, populations captives, peu averties et peu
mobiles. Voici le rêve et l’agenda des hauts fonctionnaires qui
ont conduit l’école publique dans le mur et qui restent même
éternellement en place.
La fracture scolaire s’aggrave. Pour
désamorcer cette prochaine bombe sociale, on ment aux parents en
donnant des diplômes à ceux qui n’ont pourtant pas le niveau
pour l’obtenir. La pyramide de Ponzi va bientôt s’effondrer. Et
ceux qui en souffriront le plus sont les classes populaires.
Beaucoup se gaussent de l’inquiétude suscitée par la fin, à
terme, du statut de ces fainéants de profs. Ceux-là ont soit déjà
mis leurs enfants dans le privé, à l’abri des décisions du
ministère, ou espèrent que l’arnaque de Ponzi perdure encore
assez pour que leurs enfants soient mis à l’abri avec ces
diplômes en chocolat.
Fatiha Boudjahlat