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Accueil du site > Actualités > Société > ’La Grande Transformation’ de Karl Polanyi

’La Grande Transformation’ de Karl Polanyi

Voici un article et une émission sur France Culture consacrés à Karl Polanyi, (1886-1964) et à son oeuvre majeure La grande transformation. Economiste et aussi, pourrait-on dire, anthropologue, Polanyi, dans son ouvrage, développe la thèse selon laquelle le XIXè siècle vit la naissance "du marché auto-régulateur" et fut à l'origine d'une véritable révolution au sein du monde 'moderne', entraînant ce qu'il appelle lui-même "La grande Transformation" avec l'avènement du fascisme puis du 'socialisme de type soviétique'. Voici ce que dit Louis Dumont en préface du livre :

 

"La Grande Transformation, c'est ce qui est arrivé au monde moderne à travers la grande crise économique et politique des années 1930-45, c'est à dire, Polanyi s'emploie à le montrer, la mort du libéralisme économique. Or ce libéralisme, dont Hitler a été le fossoyeur adroit, était une innovation sans précédent apparue un siècle plus tôt. C'était une innovation très puissante mais si contraire à tout ce que l'humanité avait connu jusque là qu'elle n'avait pu être supportée que moyennant toutes sortes d'accomodements. L'innovation consistait essentiellement en un mode de pensée. Pour la première fois, on se représentait une sorte particulière de phénomènes sociaux, les phénomènes économiques, comme séparés de la société et constituant à eux seuls un système distinct auquel tout le reste du social doit être soumis. On avait en ce sens dé-socialisé l'économie, et ce que la grande crise des années 30 imposa au monde, c'est une re-socialisation de l'économie... La Grande Transformation apparaît en somme comme la critique la plus radicale qui soit du capitalisme libéral. Encore faut-il préciser : ce n'est pas une critique de l'industrie, mais de l'idéologie et la critique est radicale parce qu'objective, anthropologique...On peut concevoir l'embarras de maint lecteur : s'il s'agit du capitalisme, comment choisir entre différentes vues qu'on lui en a proposées : entre le capitalisme de l'exploitation, le capitalisme de la rationalité ou le capitalisme de marché ? Observons seulement que, cette dernière vue étant la seule véritablement anthropologique, ou comparative, ce qu'il peut y avoir de vrai dans les deux autres demande à être situé à l'intérieur de la perspective de Polanyi. Il est vrai que la perspective de Polanyi n'est pas complète mais porte seulement sur un aspect - si fondamental qu'il soit - de l'idéologie, à savoir la constitution des composantes économiques de la vie sociale en un sous-système qui subordonne tout le reste."

 

 

1 - Enoncé de la thèse "Polanyiennne"

 

Voici en substance ce qu’énonce Polanyi, dès les premières lignes, afin d’introduire sa thèse :

 

"La civilisation du XIXè siècle s’est effondrée. Ce livre traite des origines politiques et économiques de cet événement, ainsi que de la grande transformation qu’il a provoquée. La civilisation du XIXè siècle reposait sur quatre institutions. La première étant le système de l’équilibre des puissances qui, un siècle durant, empêcha que survienne entre les Grandes Puissances toute guerre longue et destructrice ; la deuxième, l’étalon-or international, symbole d’une organisation unique de l’économie mondiale ; la troisième, le marché auto-régulateur, qui produisit un bien-être matériel jusque là insoupçonné ; la quatrième, l’Etat libéral...A elles quatre, elles donnèrent à l’histoire de notre civilisation ses principales caractéristiques... Mais la source et la matrice du système, c’est le marché auto-régulateur. Ce fut cette innovation qui donna naissance à une civilisation particulière...Notre thèse est que l’idée d’un marché s’ajustant lui-même était purement utopique. Une telle institution ne pouvait exister de façon suivie sans anéantir la substance humaine et naturelle de la société, sans détruire l’homme et sans transformer son milieu en désert. Inévitablement la société prit des mesures pour se protéger mais toutes ces mesures, quelles qu’elles fussent, compromirent l’auto-régulation du marché, désorganisèrent la vie industrielle et exposèrent ainsi la société à d’autres dangers. Ce fut ce dilemme qui força le système du marché à emprunter dans son développement un sillon déterminé et finit par briser l’organisation sociale qui se fondait sur lui."

 

2 - La "Paix de Cent Ans"

 

Dans son analyse rétrospective du XIXè siècle, Polanyi constate que jamais l’occident ne fut confronté à pareil évènement : une paix quasi-générale de cent ans !

 

"Au XIXè siècle s’est produit un phénomène sans précédent dans les annales de la civilisation occidentale : les cent années de paix de 1815 à 1914. Mis à part la guerre de Crimée - événement plus ou moins colonial -, l’Angleterre, la France, la Prusse, l’Autriche, l’Italie et la Russie ne se sont fait la guerre les unes aux autres que dix-huit mois au total. Si l’on prend en compte les chiffres comparables pour les deux siècles précédents, on obtient pour chaque pays une moyenne de soixante à soixante-dix ans de guerres importantes. Mais même la plus féroce des conflagrations du XIXè siècle, la guerre de 1870-1871 entre la France et la Prusse, s’acheva en moins d’un an, la nation vécue se révélant capable de verser une somme inouïe à titre d’indemnité, et cela sans que les monnaies concernées en souffrent le moins du monde... Cet exploit quasi miraculeux venait du jeu de l’équilibre des puissances, qui eut ici un résultat qui lui est normalement étranger. Par nature, cet équilibre a un résultat complètement différent, à savoir la survie de chacune des puissances en cause. En fait, il postule simplement que trois unités ou plus, capables d’exercer une puissance, se comporteront toujours de façon à combiner la puissance des unités plus faibles contre tout accroissement de puissance chez la plus forte...Mais il n’atteignait cette fin que par une guerre continuelle entre des partenaires changeants...Nous avançons que le facteur entièrement nouveau fut l’apparition d’un parti de la paix très actif. Les porteurs du "nouvel intérêt de paix" étaient, comme à l’ordinaire, ceux qui en bénéficiaient en premier, à savoir ce cartel de dynastes et de féodaux dont la situation patrimoniale était menacée par la vague révolutionnaire de patriotisme qui balayait le Continent. Pendant un tiers de siècle environ, la Sainte-Alliance fournit ainsi la force coercitive et l’impulsion idéologique que nécessitait une politique de paix active... Au cours du quart de siècles qui suivit la guerre franco-prussienne, on assista à une renaissance de l’intérêt de paix, représenté par cette nouvelle entité, le Concert Européen...Mais le Concert Européen, qui succéda à la Sainte-Alliance était dépourvu de ces tentacules féodaux et cléricaux ; c’était au mieux une fédération lâche dont la cohérence ne pouvait se comparer au chef-d’oeuvre de Metternich. Et cepandant, ce que la Sainte-Alliance, avec sont unité parfaite de pensée et de propos n’avait pu obtenir en Europe que par de nombreuses interventions armées, la vague entité appelée "Concert Européen" l’accomplit à l’échelle mondiale...Pour expliquer ce fait stupéfiant, il faut supposer qu’était à l’oeuvre, caché dans le nouveau dispositif, un puissant ressort social, capable de tenir le rôle qui avait été dans l’ancien dispositif celui des dynasites et des épiscopats et de rendre effectif l’intérêt de paix. Ce facteur anonyme était la haute finance".

 

A noter ici un élément de taille : là où la plupart des critiques antilibérales associent le capitalisme à la guerre, Polanyi prend ici ces critiques à contre-pied en constatant, à partir d’éléments historiques factuels durant la période 1815-1914, que la naissance du marché auto-régulateur s’inscrit dans un contexte de paix mondiale.

 

3 - Le système de Speenhamland (1795-1834)

 

Polanyi, qui consacre la majeure partie de son oeuvre à étudier la mise en place du marché auto-régulateur à partir de l’évolution de la société en Angleterre, accorde une importance toute particulière au système qui se mit en place à la fin du XVIIIè siècle et que l’on appelle la "loi de Speenhamland" ou la "loi pour les pauvres". Cette loi servit, en quelque sorte, de ’déclencheur’ (parmi d’autres, bien évidemment) à la pensée libérale du XIXè siècle.

 

"La société du XVIIIè siècle résista inconsciemment à tout ce qui cherchait à faire d’elle un simple appendice du marché. Aucune économie de marché n’était concevable qui ne comportât pas un marché du travail ; mais la création d’un tel marché, en particulier dans la civilisation rurale de l’Angleterre, n’exigeait rien de moins que la destruction massive de l’édifice traditionnel de la société. Durant la période la plus active de la Révolution industrielle, de 1795 à 1834, la loi de Speenhamland permit d’empêcher la création d’un marché du travail en Angleterre...En Angleterre, et la terre et la monnaie furent mobilisées avant le travail. Ce dernier était empêché de former un marché national par de strictes restrictions juridiques qui affectaient sa mobilité physique, car l’ouvrier était pratiquement attaché à sa paroisse...La loi de Speenhamland visait à un puissant renforcement du système paternaliste de l’organisation du travail tels que l’avaient légué les Tudors et les Stuarts. Les juges du Berkshire, réunis le 6 mai 1795, en un temps de grande détresse, à l’auberge du Pélican, à Speenhamland, près de Newbury, décidèrent qu’il fallait accorder des compléments de salaires conformément à un barème indexé sur le prix du pain, si bien qu’un revenu minimum devait être assuré aux pauvres indépendamment de leurs gains...Jamais mesure ne fut plus universellement populaire. Les parents étaient libres de ne pas s’occuper de leurs enfants, et ceux-ci ne dépendaient plus de leurs parents ; les employeurs pouvaient réduire les salaires à volonté, et les ouvriers qu’ils fussent occupés ou oisifs, étaient à l’abri de la faim ; les humanitaristes applaudissaient la mesure comme un acte de miséricorde - sinon de justice -, et les égoïstes se consolaient volontiers à la pensée que, si elle était miséricordieuse, du moins elle n’était pas libérale ; et les contribuables eux-mêmes furent lents à comprendre ce qu’il adviendrait de leurs impôts dans un système qui proclamait "le droit de vivre", qu’un homme gagnât ou non un salaire lui permettant de subsister. A la longue, le résultat fut affreux...Speenhamland se proposait d’empêcher la prolétarisation du petit peuple, ou, du moins, de la ralentir. le résultat en fut tout simplement la paupérisation des masses, qui, en cours de route, perdirent presque forme humaine.En 1834, la réforme de la loi sur les pauvres élimina cet obstacle au marché du travail : le "droit de vivre" fut aboli...Si Speenhamland avait empêché l’apparition d’une classe ouvrière, celle-ci se constituait désormais avec les pauvres au travail sous la pression d’un mécanisme inhumain. Si, avec Speenhamland, on avait pris soin des gens comme de bêtes sans grande valeur, on attendait désormais qu’ils prissent soin d’eux-mêmes, et cela, avec toutes les chances contre eux. Si Speenhamland avait abusé des valeurs de la localité, de la famille et du cadre rural, désormais l’homme était coupé de son foyer et de ses parents, arraché à ses racines et à tout milieu qui eût un sens. Bref, si Speenhamland, c’était le pourrissement de l’immobilité, le risque était désormais de mourir de froid."

 

4 - La réaction : l’auto-protection de la société

 

Suite à la mise en place de ce marché autorégulateur, la société eut, conséquemment, l’instinct de protection contre le "laissez-faire" intégral postulés par les tenants du libre-échange. On assista alors à ce que Polanyi désigne sous le vocable de "double-mouvement" :

 

"Le libéralisme économique a été le principe organisateur d’une société qui s’employait à créer un système de marché. Simple penchant pour des méthodes non bureaucratiques à sa naissance, il s’est développé en une véritable foi dans le salut de l’homme ici-bas grâce à un marché auto-régulateur. Ce fanatisme a résulté de la soudaine aggravation de la tâche dans laquelle il se trouvait engagé... ; La foi libérale ne prit sa ferveur évangélique que pour répondre aux besoins d’une économie de marché déployée dans son entier...Sous une autre forme et, naturellement, avec une tendance politique opposée, les organisations marxistes ont fait un raisonnement tout aussi partisan. Marx a lui-même suivi Ricardo en définissant les classes en termes économiques, et l’exploitation économique a sans doute été un trait caractéristique de l’âge bourgeois. Dans le marxisme populaire, cela a conduit à une théorie grossière du développement social à base de classes...On a soutenu que les guerres étaient provoquées par ces intérêts combinés à ceux des des firmes d’armement qui, miraculeusement, avaient acquis le pouvoir d’entraîner des pays entiers dans des politiques fatales, contraires à leurs intérêts vitaux. Libéraux et marxistes étaient en effet d’accord pour faire dériver le mouvement protectionniste de la force d’intérêts partisans ; pour expliquer les droits de douane sur les produits agricoles par l’influence politique de propriétaires réactionnaires ; pour rendre la soif de profits des magnats industriels responsable de la croissance des entreprises monopolistes ; pour présenter la guerre comme la conséquence des déchaînements affairistes. La prespective des tenants du libéralisme économique a trouvé ainsi un puissant soutien dans une théorie étroite des classes. En adoptant le point de vue de l’antagonisme des classes, libéraux et marxistes ont soutenu des positions identiques...

Pendant un siècle, la dynamique de la société moderne a été gouvernée par un double mouvement : le marché s’est continuellement étendu, mais ce mouvement a rencontré un contre-mouvement contrôlant cette expansion dans des directions déterminées. Quelque vitale que fût l’importance d’untel contre-mouvement pour la protection de la société, celui-ci était compatible, en dernière analyse avec l’auto-régulation du marché, et, partant, avec le système de marché lui-même"

 

5 - L’avènement du fascisme

 

La conséquence de ce marché auto-régulateur fut, in fine, pour Polanyi l’apparition progressive de mouvements fascistes (qu’il distingue des conservateurs).

 

"Si jamais mouvement politique répondit aux besoins d’une situation objective, au lieu d’être la conséquence de causes fortuites, c’est bien le fascisme...On peut décrire la solution fasciste à l’impasse où s’était mis le capitalisme libéral comme une réforme de l’économie de marché réalisée au prix de l’extirpation de toutes les institutions démocratiques, à la fois dans le domaine des relations industrielles et dans le domaine politique...Un pays approchant de la phase fasciste présentait des symptômes parmi lesquels l’existence d’un mouvement proprement fasciste n’était pas nécessaire. On y apercevait des signes au moins aussi importants : la diffusion de philosophies irrationalistes, d’une esthétique raciale, d’une démagogie anticapitaliste, d’opinions hétérodoxes sur la monnaie, de critiques du système des partis, d’un dénigrement général du "régime", quel que fût le nom donné à l’organisation démocratique existante...Les fascistes répondent à la reconnaissance de la réalité de la société en rejetant le postulat de la liberté."

 

Conclusion personnelle : 

 

Pour ma part, je ne partage pas toute la thèse de Polanyi mais je considère que c’est une oeuvre majeure, particulièrement fouillée, percutante et donnant un éclairage à la fois original et nouveau sur ce qu’on nomme communément le "marché auto-régulateur". Ouvrage, donc, à consommer sans modération !




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11 réactions à cet article    


  • 2 votes
    Qamarad Qamarad 26 avril 2014 12:43

    Un grand merci pour ce partage qui a éveillé en moins un intérêt pour cet auteur qui a bonne presse auprès de vous et de feu Guéguen. J’ai lu le texte mais pas écouté l’émission, ce que je ferai plus tard.
    Rien que ce texte... beaucoup de points de désaccord que je détaillerai dans un prochain commentaire.


    • 5 votes
      eQzez eQzez 26 avril 2014 16:23

      pourquoi feu gueguen ?


    • 5 votes
      Qamarad Qamarad 26 avril 2014 17:55

      Simplement parce qu’il a pris le large et qu’il nous fera peut-être le plaisir de nous gratifier de ses interventions dans un futur ,espérons-le, proche.


    • 2 votes
      Qamarad Qamarad 27 avril 2014 11:12

      Sur la paix de cent ans, elle n’a servi qu’à préparer la guerre future par une phase d’industrialisation, et donc d’augmentation de la production et de sa qualité meurtrière. Le capitalisme international mène nécessairement à la guerre. C’est un impératif indépassable qui suit la fameuse dialectique : Crise économique-guerre-reconstruction. La paix de cent n’a rien de louable puisqu’elle préfigure la guerre totale, les massacres de masse, Hiroshima et Nagasaki. Ce système est génocidaire en ce sens que les vies humaines servent de tremplin et de variable d’ajustement au profit et à la domination à la haute-finance, ni plus, ni moins.

      J’apprécie particulièrement aussi, quand il évoque le fascisme, le postulat de la liberté. Reste à savoir ce qu’il entend par liberté... Si c’est au fond le respect des libertés fondamentales et surtout le reconquête d’une souveraineté individuelle et collective, je dirais que notre totalitarisme marchand gagne haut la main depuis deux siècles et qu’en ce sens il est bien plus performant que ce soit en efficacité que sur la durée.

      Point de désaccord essentiel : le marxisme qu’il assimile à du libéralisme inversé. Si je l’ai bien lu ici, il nous dit que libéralisme et marxisme partage le même postulat d’analyse à travers le prisme des classes et donc la notion d’antagonisme de classe qui trouverait sa source dans le notion de marché. C’est un non-sens absolu. L’analyse des classes est marxiste. Le coeur de la critique marxiste est de dire que le marché ne profite qu’à la classe capitaliste et bourgeoise et que le reste a été prolétarisé, donc déshumanisé. Les libéraux rétorquent sur c’est en laissant cours au marché auto-régulateur et sans intervention extérieure que chacun trouvera son bonheur aussi bien humainement qu’économiquement à travers les mécanismes de l’offre et de la demande qui permettent un équilibre général et un prix optimum.
      D’autres critiques du marxisme-léninisme sont de mon point de vue bien plus intéressantes, surtout celle du fascisme italien qui lui reproche d’être au final un matérialisme à la manière du libéralisme nappée de belles apparences. Une société où la croissance et la marchandise sont toujours vues comme une fin en soi, même si l’intégralité du système de production est socialisée. Une société aussi où tout se réduit à des critères matériels : Staline avait bien demandé que l’on transportât 40 wagons de matière humaine pour construire un canal.

      Celle aussi d’autres courants socialistes qui voient d’un mauvais oeil aussi bien la capitalisme libéral que le bolchévisme assimilé à une dictature centralisée et autoritaire qui confisque toute initiative prolétaire.


      • vote
        micnet 27 avril 2014 14:33

        Bonjour à vous Qamarad,


        Laissez-moi d’abord vous remercier pour votre commentaire et l’intérêt que vous manifestez pour cet article qui n’attire pas les foules (ce à quoi je m’attendais un peu...)
        Pourtant je pense que Polanyi mérite amplement d’être connu ; son oeuvre vaut (presque) celle de Marx, à mon humble avis. Donc si cet article vous donne envie de découvrir cet auteur, je considérerai avoir atteint mon objectif smiley

        Je reviens sur votre remarque : 

        "Sur la paix de cent ans, elle n’a servi qu’à préparer la guerre future par une phase d’industrialisation, et donc d’augmentation de la production et de sa qualité meurtrière. Le capitalisme international mène nécessairement à la guerre"

        ---> Vous avez en partie raison et Polanyi ne dit pas autre chose, justement. Mais la guerre est une conséquence non voulue par le capitalisme qui, pour se mettre en place et fonctionner en tant que système autorégulateur doit s’inscrire dans un contexte de paix internationale. (Je tiens d’ailleurs à préciser ceci : je ne suis pas un "pacifiste", à ne pas confondre avec "pacifique", et le fait que le capitalisme s’appuie sur des mouvements pacifistes pour prospérer ne me le rend pas particulièrement sympathique à cet égard). 
        Telle est, en tout cas, la thèse de Polanyi et je dois dire qu’il apporte des arguments très convaincants, en s’appuyant sur des faits historiques. Il s’agit d’ailleurs du premier chapitre de son livre. Extraits :

        "Aucune enquête globale sur la nature de la banque internationale au XIXè siècle n’a jusqu’à présent été entreprise ; c’est à peine si cette mystérieuse institution émerge du clair-obscur de la mythologie politico-économique. Certains ont affirmé que c’était le simple outil des gouvernements ; d’autres, que les gouvernements étaient les instruments de sa soif inextinguible de profits ; certains qu’elle semait la discorde internationale ; d’autres qu’elle véhiculait un cosmopolitisme efféminé qui sapait la force des nations viriles. Personne ne se trompait tout à fait. La haute finance, institution sui generis propre au dernier tiers du XIXè siècle et au premier tiers du XXè, fonctionna, au cours de cette période, comme le lien principal entre l’organisation politique et l’organisation économiques mondiales. Elle fournit les instruments d’un système de paix internationale, qui fut élaboré avec l’aide des Puissances, mais que les Puissances elles-mêmes n’auraient pu créer ni maintenir. Alors que le Concert européen n’agissait que par intermittence, la haute finance fonctionnait comme un agent permanent de l’espèce la plus souple...La haute finance n’avait pas vocation à être un instrument de paix ; cette fonction lui revint par accident, comme diraient les historiens, tandis que les sociologues préféreraient peut-être parler de "loi de disponibilité". Le mobile de la haute finance était le gain ; pour y atteindre, il était nécessaire de rester en bons termes avec les gouvernements dont le but était la puissance et la conquête."

        Ensuite vous dites :

        "Point de désaccord essentiel : le marxisme qu’il assimile à du libéralisme inversé. Si je l’ai bien lu ici, il nous dit que libéralisme et marxisme partage le même postulat d’analyse à travers le prisme des classes et donc la notion d’antagonisme de classe qui trouverait sa source dans le notion de marché. C’est un non-sens absolu."

        -—> ça c’est le grand débat classique, que j’ai déjà eu, notamment avec Machiavel smiley. Pour ma part, comme pour beaucoup d’autres, dont Polanyi, il y a une corrélation et un intérêt commun de la pensée marxienne ( je dis bien "marxienne" et pas nécessairement marxiste-léniniste. Je me base sur les écrits de Marx lui-même) et des libre-échangistes, notamment sur la question du protectionnisme (plus encore que sur la question de la lutte des classes). Mais je doute que nous parvenions à nous mettre d’accord sur ce point et puis de toute façon, personne ne peut se targuer d’être le garant de la véritable pensée de Marx. C’est un débat sans fin...

      • vote
        Qamarad Qamarad 27 avril 2014 18:50

        Donc si cet article vous donne envie de découvrir cet auteur, je considérerai avoir atteint mon objectif

        ==> Objectif atteint !

        Vous avez en partie raison et Polanyi ne dit pas autre chose, justement. Mais la guerre est une conséquence non voulue

        C’est une mécanique globale. On ne demande pas à un moteur de voiture s’il souhaite ou non entraîner les roues du véhicule. De la même façon, le capitalisme mène structurellement à la guerre et les acteurs importants ; des financiers, ont le pouvoir des les faire durer, de les multiplier parfois. C’est une double-interaction selon moi : des acteurs manipulés par le système global et d’autres le manipulant en partie car comprenant nombre de ressorts.
         En ce qui concerne la crise des marchés financiers à venir, celles en particulier des montants de dettes, certains pensent réellement que le fétichisme de la marchandise obnubile à tel point ces personnages qu’ils n’ont même plus conscience de ce qu’ils font. C’est un débat interminable


        =>C’est un débat sans fin

        Il me semble avoir compris ce qui vous turlupine le plus chez Marx. Votre paradigme s’inscrit dans un cadre national, donc protectionniste et patriote. Vous souhaitez la résurgence de l’état nation tel qu’il fut. En lisant le condamnation de Marx du protectionnisme ainsi que la dimension internationaliste de son combat, vous le rangez dans la même catégorie que les néo-libéraux, à savoir : plus de frontière, donc plus de nation et de tradition.
        J’ai une vision diamétralement opposée. C’est en effet sans fin...


      • vote
        micnet 27 avril 2014 19:08
        @Qamarad

        "C’est une mécanique globale. On ne demande pas à un moteur de voiture s’il souhaite ou non entraîner les roues du véhicule. De la même façon, le capitalisme mène structurellement à la guerre et les acteurs importants ; des financiers, ont le pouvoir des les faire durer, de les multiplier parfois. C’est une double-interaction selon moi : des acteurs manipulés par le système global et d’autres le manipulant en partie car comprenant nombre de ressorts."


        ---> Je pense qu’au final, on est d’accord sur ce point (vous allez me confirmer...ou pas) : le capitalisme, selon Polanyi (je précise qu’il s’agit du capitalisme autorégulateur) a besoin d’établir la paix entre les nations pour se développer mais le résultat provoqué est inverse puisqu’il entraîne des réactions d’auto-défense des nations, allant jusqu’à un nationalisme exacerbé, et même guerrier.

        D’ailleurs, lorsque vous parlez de "double interaction", cela me fait penser à un chapitre du livre qui évoque le "double-mouvement" inhérent au XIXè siècle au cours duquel on a assisté, d’une part au développement du libre-échange et, conséquemment à celui-ci, on a assisté à une "réaction d’auto-protection" des nations face à ce phénomène.


        Il me semble avoir compris ce qui vous turlupine le plus chez Marx. Votre paradigme s’inscrit dans un cadre national, donc protectionniste et patriote. Vous souhaitez la résurgence de l’état nation tel qu’il fut. En lisant le condamnation de Marx du protectionnisme ainsi que la dimension internationaliste de son combat, vous le rangez dans la même catégorie que les néo-libéraux, à savoir : plus de frontière, donc plus de nation et de tradition. 
        J’ai une vision diamétralement opposée. C’est en effet sans fin.
        ..


        ---> Je vous félicite, vous avez parfaitement résumé ma pensée smiley. Par contre, j’avoue que je n’ai pas encore réussi à bien vous situer. J’imagine que vous êtes ’marxien’, eu égard à votre pseudo, ou bien vous rattachez-vous à une autre famille de pensée ?


        Bien à vous


      • vote
        Qamarad Qamarad 27 avril 2014 21:38

        @Micnet
        Bonsoir à vous,

        D’accord sur les points précédemment évoqués.
        Sur la "famille" politique à laquelle je me définis prioritairement : je me définirais avant tout comme un gaullo-bonapartiste, soit un schéma politico-institutionnel où le pouvoir exécutif est fort et central dans la continuité de la tradition française, avec une économie mixte où l’état est vu comme un frein à l’hégémonie du marché. On pourrait également dire que je suis marxisant en ce sens que je puise chez Marx une description et une critique radicale de notre paradigme. Je ne suis pas pour autant marxien intégral, car je ne partage pas la finalité de son sens de l’histoire. La capitalisme est notre système indépassable car nous n’avons rien d’autre à mettre à la place. Je m’intéresse à tout ce qui est susceptible de mettre un frein au divers dynamiques engendrées.
        Et le choix de mon pseudo n’a rien à voir avec mes convictions politiques : au départ, ne sachant lequel choisir, j’ai pris le nom d’une musique qui était celle-ci...


      • vote
        micnet 27 avril 2014 23:01
        @Qamarad

        " je me définirais avant tout comme un gaullo-bonapartiste, soit un schéma politico-institutionnel où le pouvoir exécutif est fort et central dans la continuité de la tradition française, avec une économie mixte où l’état est vu comme un frein à l’hégémonie du marché. "

        ---> Merci pour ces précisions ! Donc, nous faisons partie de la même famille, même si nous avons une lecture de Marx radicalement différente (pour ma part, je reconnais l’ apport considérable de la pensée de Marx, ne serait-ce que pour la contredire).
        Pour le reste, je me définis comme un libéral-conservateur, c’est à dire "libéral" sur le plan économique dans la mesure où l’économie reste "enchâssée" au sein d’une nation souveraine, ce qui implique de remettre le pouvoir politique au centre de la société et non plus l’homo oeconomus actuel. (ce qui rejoint votre souhait d’un ’pouvoir exécutif fort’)
        A cet égard, je me sens assez proche d’un Nigel Farage en Angleterre ou d’un Christian Vanneste chez nous

        Au plaisir pour de prochains échanges

      • vote
        Aldo Berman Aldo Berman 27 avril 2014 22:29

        L’adoption générale et définitive du calendrier commercial comme seul référent en est la preuve la plus flagrante à mon avis de cette mise au pas de l’humain vis à vis de sa condition économique : l’apparition de "l’homo-economicus", le dernier du genre je l’espère ;)


        • 1 vote
          spoty spoty 28 avril 2014 11:01
          micnet : Merci !


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