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Commentaire de Po-houen Wou-jen ????

sur Patrick Rambaud : "Le maître"


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Le fou de T'chou Po-houen Wou-jen ???? 3 mars 2015 22:26

@ Golum

  Vous avez, je pense, compris mon aversion pour la version de Liou Kia-hway smiley 

  C’est que je considère, à titre personnel, le Zhuangzi comme étant l’un des ouvrages clefs de toute la littérature chinoise, oui rien que ça. Je considère qu’il contient un message intemporel qui devrait véritablement servir d’inspiration pour les générations actuelles, mais aussi futures. Je m’explique. Cette oeuvre représente, à mon sens, l’unique ouvrage véritablement critique envers toutes les sortes de mécanismes de domination — à commencer par le pouvoir politique — qui enchaînent l’individu, et par extension, la société entière. Le Zhuangzi ne s’arrête cependant pas à cette critique, vraiment virulente dans l’ouvrage, et propose au lecteur, autrement dit à celui qui sait écouter, un véritable voyage (you). Un voyage où celui, qui veut bien s’y aventurer, ne peut littéralement pas concevoir, imaginer au départ jusqu’où cela pourrait le mener. 

   Le premier chapitre représente en cela l’illustration exacte de ce que j’avance. Il reprend la fable du poisson légendaire Kun, se transformant en oiseau gigantesque, qui s’élance de fureur (fei er nu) vers la Mer Méridionale. Il est à noter, pour les curieux, que ce gros mastodonte doit jouer des courants aériens pour pouvoir prendre de l’altitude. 

   Cette fable figurant au premier chapitre, dont je n’ai ici reproduit le début, est l’allégorie d’une expérience jugée authentique par leur auteurs. Celle-ci considère la libération de l’individu du joug des divers mécanismes de domination non pas comme une fin en soi, mais comme la condition sine qua non d’une autre vision du "pouvoir", lui étant compris dans son acceptation positive. Le pouvoir dont il est ici question n’est autre que ce que l’on peut aussi nommer le "pouvoir naturel, efficace ou acquis", autrement dit " l’énergie, l’influence (de la nature)". Il s’agit en chinois du terme de De, traduit communément par "la vertu". Ce terme n’est pas fantaisiste, il est à la base de toutes les croyances du monde chinois, de façon assurée depuis la fondation de la dynastie Zhou... Bref, je pourrais continuer longtemps comme ça, je travaille dessus depuis déjà près de deux ans smiley

   Quand on aime un texte à ce point, et qu’on veux bien considérer sa portée à sa juste valeur, il est normal qu’on soit indigné par le fait qu’il soit mal traduit. J’espère que vous comprenez smiley Il faut que vous sachiez, et j’aimerai que tout le monde ici se rende compte, du véritable discrédit que la glose traditionnelle a porté à son encontre, depuis maintenant près de deux mille ans en Chine, portant ainsi un réel préjudice à l’intégration de ce monument de la littérature dans la culture chinoise. Les exégètes ont assimilés le Zhuangzi a un ouvrage exprimant la pensée d’un philosophe détaché du pouvoir. J’ai déjà mentionné un peu pourquoi cela a été réalisé, je voudrais juste vous dire en un mot comment cette oeuvre a pu voguer tant bien que mal jusqu’à aujourd’hui. Lu sous le boisseau depuis l’ère impériale, l’ouvrage est traditionnellement associé au lettré prenant congé de ses fonctions officiels. Le seul domaine où le texte fut à peu près bien compris n’est autre que le domaine de l’art pictural chinois. L’ouvrage n’a quasiment pas non plus été encensé par le taoïsme religieux, un comble. Celui-ci se basant principalement sur l’ouvrage du Laozi (Lao tseu ou livre de la Voie et de sa vertu). 

   Cela me permet de répondre à votre dernière déclaration (sur le Laozi), et d’avancer. Le Laozi a-t-il été écrit par une seule voix ? Mystère. Il faut savoir que le Zhuangzi semble beaucoup emprunter aux idées du Laozi, à ceci près que le Laozi, paradoxalement, se situe à revers du Zhuangzi. Le Laozi peut très bien se lire comme le manuel du parfait souverain dominant ses sujets. C’est une oeuvre aux visées multiples : il peut tout autant se comprendre comme un texte de recettes physiologiques, de méditation mentionnant la pratique du souffle (qigong), un traité de stratégie militaire ou politique. En bref, c’est vraiment bizarre qu’un texte au contenu aussi fabuleux puisse se faire l’avocat des puissants. Et donc, c’est celui-ci que la "religion" taoïste a encensé. 

   Pour finir, un mot en ce qui concerne Zarathustra. Je ne savais très peu de chose sur ce personnage avant que je n’écoute la dernière émission "Les racines du Ciel" sur France culture. Et ce que j’ai entendu m’a fait bondir de ma chaise, dans le bon sens. En écoutant l’invité, un spécialiste renommé en parler, j’ai été fasciné. J’explique pourquoi. Tout ce que ce spécialiste dit à son sujet se retrouve presque à l’identique, en tout cas le fond de la pensée, dans le Zhuangzi. A ceci près que la pensée du Zarathustra (Les gathas) ne date pas du IV siècle av. J.-C. comme le Zhuangzi, mais de 1700 avant notre ère. Soit bien avant. Il faut prendre conscience du fait que toute la littérature de la fin de l’antiquité en Chine se propose comme une réinterprétation de la vieille tradition chinoise, et que tous font référence à un temps, l’antiquité (gu) comme d’un âge d’or. 

   On pourrait mentionner le fondateur mythique de la civilisation chinoise, un certain "Souverain d’en haut" (Shangdi)... mais on va s’en abstenir... on peut trouver un mythe assez croustillant à ce sujet... 

   Bref, il est très intéressant de remarquer que le mot "mage" désigne à l’origine un disciple de Zarathustra, et que lui tout comme le Zhuangzi avaient des points de vues similaire sur l’attitude que devrait adopter l’homme envers la Nature. 


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