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Commentaire de Joe Chip

sur Poutine, Napoléon, Hitler : une trajectoire nationale


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Joe Chip Joe Chip 21 mai 2016 13:59

Bon, je n’ai eu le temps que de visionner les premières minutes mais je me permets de corriger vos prémisses, à mon avis erronées, qui vous amènent ensuite à essentialiser de simples tendances historiques qu’il faudrait replacer dans leur contexte : 

La puissance britannique a émergé au XVIIIème siècle 

Non, la puissance britannique s’est affirmée d’abord face à l’Espagne (avec pour enjeu la captation de l’or du Nouveau Monde, pour moyen la piraterie et pour conclusion l’échec de tout projet d’invasion consécutif à l’affaiblissement de "l’invincible armada") et surtout face à la Hollande, qui était de facto la grande puissance commerciale maritime de l’époque représentant l’émancipation du libéralisme naissant face au protectionnisme anglais. La manifestation de cette volonté de puissance s’est traduite par la promulgation en 1651 des navigation acts qui ont motivé la création d’une puissante flotte de guerre capable d’imposer le monopole du commerce avec les colonies britanniques. Il s’agit en fait d’une privatisation des routes commerciales maritimes, traditionnellement ouvertes au commerce international depuis l’antiquité, à la faveur de l’Empire Britannique en construction.

La France n’a en réalité jamais vraiment rivalisé avec l’Angleterre sur les mers - elle n’en avait pas les moyens, étant accaparée par des guerres continentales coûteuses et diminuée par des choix malheureux de politique étrangère sous Louis XV - sauf ponctuellement (guerre d’indépendance américaine) en profitant de l’avantage technologique - reconnu d’ailleurs par les Anglais - des navires conçus par les arsenaux français. Cette faiblesse stratégique sur les mers explique les faiblesses structurelles des colonies françaises d’Amérique du Nord, qui étaient essentiellement terrestres alors que l’Angleterre avait pu s’assurer la maîtrise de la côte Est (sauf au Canada) facilitant ainsi les échanges commerciaux avec les colonies, et surtout leur ravitaillement. 

Il convient donc de relativiser cette vision du grand clash entre la thalassocratie anglaise et la soi-disant "tellurocratie" française. 

Napoléon a été un "tellurocrate" jeune

Quand Napoléon parvient au pouvoir, la puissance maritime française a déjà largement décliné après l’effort énorme consenti pour mettre au point une marine capable de rivaliser avec la Navy, effort peu récompensé puisque les jeunes Etats-Unis se rapprochèrent aussitôt avec l’Angleterre après la signature du traité de Paris (1783) qui était une victoire à la Pyrrhus pour la monarchie française, qui allait d’ailleurs précipiter sa chute (en raison du poids de la dette).

Présenter la France de l’époque comme une "tellurocratie" est une absolue contre-vérité.

Si Napoléon a été "tellurocrate", c’est uniquement par défaut, puisqu’il est établi qu’il comptait au contraire rétablir une puissante marine pour contrer l’Angleterre, et que des efforts furent conduits en ce sens, notamment à travers la construction et la modernisation de certains arsenaux et une politique coloniale qui se voulait toujours ambitieuse (notamment à Saint Domingue).

Bainville dans son histoire de France souligne que cet échec sur les mers conduisait fatalement le "trop-plein" des énergies libérées par la Révolution Française à se déverser sur le continent, plutôt qu’a soutenir la colonisation des territoires désormais contrôlés par l’Empire Britannique.

On est donc dans un schéma imposé - au moins en partie - par la dynamique des évènements et le rapport de force qui poussait Napoléon à persévérer tragiquement - jusqu’à l’hybris final - dans certains choix politiques par impossibilité d’opter pour une alternative (après la destruction de la flotte française à Trafalgar).

Même si on peut certainement parler d’une tendance, voire d’un déterminisme historique, il est en revanche impossible de mettre sur le même plan les ambitions - largement contraintes - de Napoléon avec les décisions stratégiques d’Hitler qui coïncidaient au contraire avec un projet politique assumé. Hitler n’a jamais eu l’intention de rivaliser avec l’Angleterre ni de remettre en cause la domination maritime des anglo-saxons, ayant bien intégré l’échec de la politique d’expansion coloniale de Guillaume II. Son analyse, de fait assez juste, était que l’empereur allemand avait commis une erreur cuisante en prétendant concurrencer l’Angleterre sur les mers et conquérir un empire colonial à la mesure des empires français et britanniques, cette stratégie ayant poussé l’Angleterre à entrer en guerre aux côtés de la France, alors même qu’il existait une parenté entre les familles régnantes des deux empires (Guillaume II étant le petit-fils de la Reine Victoria). C’est pourquoi Hitler, pour ne pas faire bis repetita, avait conclu un accord naval avec l’Angleterre en 1935 - signé le jour anniversaire de la bataille de Waterloo pour rappeler la collaboration entre Blücher et Wellington contre la puissance française - pour bien délimiter le réarmement naval de l’Allemagne en l’inscrivant dans un cadre qui interdisait à l’Allemagne toute velléité d’hégémonie maritime. De fait, l’Allemagne nazie ne put s’appuyer ultérieurement que sur sa flotte de sous-marin, les bâtiments de surface ne pouvant rivaliser avec la Navy. On est donc très loin, encore une fois, de l’irrésistible conflit entre puissance thalassocratique et tellurocratique.

L’objectif d’Hitler était bien cette fois de se concentrer sur la France afin de pouvoir se retourner contre la Russie et éviter ainsi d’avoir à combattre sur deux fronts comme durant la première guerre mondiale (que l’Allemagne aurait sans doute remporté si elle n’avait eu qu’à combattre sur le front ouest, en raison du différentiel démographique énorme entre la France et l’Allemagne). Son erreur, en partie induite par ses théorisations racialistes sur les intérêts communs et l’unité des races "supérieures" nordiques face aux untermenschen français, slaves et méditerranéens, avait été de croire un peu naïvement que les Anglais et les Américains - les puissances thalassocratiques - accepteraient de signer un accord de paix avec l’Allemagne - la puissance tellurocratique - suite à l’effondrement rapide du front ouest, permettant ainsi à cette dernière de se retourner contre l’ennemi communiste commun et la "juiverie internationale". Hitler pensait que les puissants réseaux financiers anglo-saxons financeraient sa guerre contre le communisme, comme ils avaient partiellement financé, ou tout au moins soutenu, le redressement économique de l’Allemagne nazie.

Jusque dans son testament, Hitler défend sa politique étrangère antisémite et anticommuniste en affirmant avec une candeur déchirante n’avoir jamais voulu s’attaquer aux Anglais et aux Américains, les "cousins" de la race allemande. 

"Je n’ai pas voulu davantage, qu’après l’issue malheureuse de la première guerre mondiale, une deuxième guerre éclate avec l’Angleterre ou même avec l’Amérique."

On voit donc bien que les parallèles à dresser avec Napoléon ne reposent sur aucun élément politiquement tangible, et ne peuvent être établis qu’à partir de la figure mythique du "dictateur continental" et ses innombrables interprétations populaires et psychologiques (complexe physique, volonté de puissance, etc.) 

"une trajectoire qui a mené à Napoléon, à Hitler et à Poutine"

Le problème c’est que vous ne démontrez pas cette soi-disant "trajectoire", vous la posez comme une vérité établie dès votre introduction, le tout en utilisant un intitulé volontairement provocant et problématique. C’est de l’essentialisme. 

Par ailleurs votre schéma directeur semble tenir insuffisamment compte des conflits entre "tellurocraties" ou pseudo-telluracraties (France vs Allemagne vs Russie) mais aussi des nombreux conflits entre thalassocraties (Angleterre vs USA vs Japon). 

Donc, là encore, on ne peut pas parler schématiquement d’un affrontement "au-delà de l’histoire" entre la terre et la mer, c’est toujours plus complexe.


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