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Éric Guéguen (---.---.136.145) 29 novembre 2012 17:30
Éric Guéguen

@ Machiavel :
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Lu et écouté. Merci pour cette trouvaille que j’ai trouvée très intéressante.
Je crois sincèrement que les seules personnes aptes à appréhender les problèmes qui nous submergent actuellement sont celles qui entreprennent courageusement la remontée des siècles jusqu’aux temps les plus reculés pour en tirer un diagnostic philosophique.
c’est précisément le cas de Francis Cousin... même si je ne partage pas le constat qu’il en tire.
Je n’ai malheureusement pas le temps à consacrer à une véritable critique que mériterait pourtant cette émission, mais je vais néanmoins émettre quelques remarques d’ordre général, pour pointer ce qui me semble être des manquements ou des contradictions chez l’auteur.
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Les communautés originelles :

Un point positif tout d’abord : la distinction fondamentale qui est faite entre "communauté" et "société". C’est passé inaperçu, mais c’est bien plus important, selon moi, que celle entre "sacral" et "sacré" qui ne m’a que moyennement convaincu (mais peut-être n’ai-je pas tout compris non plus !). "Sacral" ressortirait à un absolu immanent, "sacré" à un absolu transcendant.
Une société est un ensemble d’individus qui n’ont en commun que leurs échanges. Une communauté est une entité organique au sein de laquelle chaque individu a sa place, son rôle, c’est un tout englobant. Une communauté est "holiste", alors qu’une société est par essence "individualiste". Une communauté est organique, une société est utilitariste, j’entends par là qu’elle ne se fonde que sur l’utilité que chacun peut tirer d’un semblant de vie commune. La communauté, elle, prime les individus. Ce qui m’amène à faire état de la première contradiction chez cet auteur : lui qui est situationniste, c’est-à-dire anarchiste, c’est-à-dire individualiste, comment parvient-il à faire la promotion des antiques communautés holistes ?
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Deuxième souci, découlant du premier : en se référant au Néolithique, il met au jour le fonctionnement de communautés très petites, dans lesquelles, en effet, une certaine sympathie peut amener tous les individus se connaissant à une entière confiance, quasi familiale, et donc à se passer ET de l’État, ET de la monnaie. Or, rien de tel n’est possible à notre époque ! Quelle est la solution envisagée à la fin de l’entretien par Francis Cousin ? Revenir à "un monde hétérogène de sociétés homogènes" (jolie formule), parfait. Mais ce qui s’entend, en d’autres termes, par un éclatement des nations, voire des cités, pour ne plus voir pulluler à la surface du globe que des milliers, ou millions de communautés éparses, et totalement hermétiques les unes aux autres. On en vient à penser que l’auteur est convaincu que l’échange inter-communautaire est tout simplement contre-nature ! Or, c’est imparable : il était évident que des communautés voisines finiraient tôt ou tard par rentrer en contact, à échanger tant au plan matériel qu’intellectuel ou spirituel, et, bien sûr, à se prémunir du risque d’échange avec des communautés d’inconnus en instituant des normes d’échanges communes : les monnaies.
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... En gros, j’ai l’impression que l’auteur est tellement acharné contre le capitalisme, qu’il en vient à sacrifier à cette lutte la logique la plus élémentaire.
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Le communisme et les références de l’auteur :
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Il est assez maladroit, je trouve, d’user du mot "communisme" pour qualifier les proto-communautés. Marx, on aura beau dire, est un philosophe de son temps, profondément individualiste, et n’ayant rien à voir avec le holisme. Ce sont les marxistes, l’ayant mal compris ou trahi, qui s’en sont servis afin d’asseoir une idéologie - le communisme - qui se voulait holiste, mais holiste de manière artificielle, c’est-à-dire partant d’individus pour recomposer de force une communauté holiste... ce qui ne pouvait que mal se terminer.
L’auteur paraît remonter l’histoire avec, dans les poches, les préjugés du monde moderne, ce qui dessert son propos.
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Ensuite, les seuls philosophes qui ont grâce à ses yeux sont les présocratiques, Hegel, puis Marx. C’est un choix tout à fait étrange pour illustrer sa démarche : Francis Cousin est un anarcho-situationniste qui fonde sa vision du monde sur ce qu’en a dit Marx. Or, Marx a eu le mauvais goût de sacraliser, en quelque sorte, les ressorts socio-économiques de toute communauté, reléguant la politique, l’art, la science, la philosophie et la religion au rang de ressorts secondaires. Autrement dit, et sauf à considérer que ne sommes que des estomacs sur pattes, Marx a privilégié le fait d’avoir (données socio-économiques) sur tout ce qui pouvait nous renvoyer à l’être profond (philosophie et politique en tête). Marx n’a pas lutté contre ce que déplore Cousin, mais lui a au contraire donné son consentement.

D’autre part, l’auteur se réfère à Parménide et Héraclite en shuntant Socrate qui, pourtant, a largement contribué à une réflexion sur l’"être", même si c’était pour signifier le besoin d’éthique et de politique. De la même manière, il zappe allégrement de nombreux penseurs à avoir planché sur la dichotomie individu/communauté et être/avoir : Saint Thomas, La Boétie, Montaigne ou Spinoza, entre autres.
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Enfin, cerise sur le gâteau, Cousin se réfère à Hegel qui est, précisément, celui qui a mis en valeur le prochain basculement de la politique à la remorque de l’économie. Politique sans laquelle l’économie nous gouverne, et que Cousin congédie malgré tout (à la suite de Marx pour le coup), jetant le bébé avec l’eau du bain (la politique avec l’économie). Hegel n’a-t-il pas été, en outre, LE grand penseur de l’État, que notre auteur abhorre ?...

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Pour conclure, il est intéressant de constater qu’à un nom près, le quatuor magique aux yeux de notre auteur correspond au quarteron de salopards de Karl Popper dans sa Société Ouverte : Héraclite, Platon (au lieu de Parménide), Hegel et Marx. Rappelons que Popper était, lui aussi, un individualiste convaincu, doublé il est vrai d’un capitaliste béat.




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