Les affaires Bernheim
« Plusieurs universitaires ont détecté dans les « Quarante méditations juives » de Gilles Bernheim des similitudes troublantes avec d’autres ouvrages, que l’intéressé a d’abord vivement démenties, avant de reconnaître son erreur.
Par AFP
Le grand rabbin de France Gilles Bernheim a reconnu mercredi un plagiat et un mensonge, admettant avoir réagi « avec maladresse » quand les premières accusations sont apparues à l’encontre de son ouvrage Quarante méditations juives. « Les plagiats démasqués sur Internet sont avérés », a-t-il avoué dans un communiqué daté de Jérusalem, alors que le doute montait au sujet de l’originalité de l’ouvrage publié en 2011 chez Stock.
Le responsable religieux a expliqué avoir confié une partie « des travaux de recherches et de rédaction » de son livre à un étudiant « par manque de temps ». « C’est la seule et unique fois que je me suis livré à un tel arrangement. (...) Ce fut une terrible erreur. (...) J’ai été trompé. Pour autant, je suis responsable », poursuit-il. Gilles Bernheim ajoute « regretter » ses dénégations initiales ? : « Ma réaction devant la première évidence de plagiat a été émotionnelle, précipitée et maladroite. Je l’analyse rétrospectivement comme du déni. »
Les ennuis du Grand Rabbin ont commencé quand un professeur agrégé Pierre Girardey a repéré des similitudes troublantes entre son livre et des réponses du philosophe décédé Jean-François Lyotard à Elisabeth Weber, publiées en 1996 dans Devant la loi (Desclée de Brouwer).
« Pierre Girardey a eu un oeil averti et m’a soumis les deux textes. Comme mon blog s’intéresse à la philosophie contemporaine et à des thématiques qui relèvent de l’écriture, je les ai mis en ligne », a expliqué à l’AFP Jean-Clet Martin qui anime le site Strass de la philosophie.
Quelques jours plus tard, Gilles Bernheim publie un démenti sur le site du Grand Rabbinat. Il assure s’être appuyé pour rédiger ses méditations sur des cours dispensés dans les années 80. Selon lui, les photocopies de ses cours et des enregistrements sonores ont pu être utilisés « à son insu ». Il ajoute s’être appuyé sur un texte publié en langue hébraïque et non traduit en français.
« Plagiat grossier »
Lundi, l’éditeur du livre du grand rabbin chez Stock, François Azouvi, soutenait encore cette version ? : « Je ne soupçonne pas Lyotard d’avoir copié les cours mais il a dû prendre connaissance de ces textes via ces enregistrements », disait-il. Mais ses arguments vacillent quand deux spécialistes de littérature hassidique soulignent l’existence d’une version française du texte référence.
Sur son blog « archéologie du copier-coller », l’universitaire Jean-Noël Darde porte le coup de grâce. En croisant des recherches sur internet et en bibliothèque, il retrouve des extraits entiers des Quarante méditations juives dans des livres écrits bien avant les années 80 par Jean-Marie Domenach, Jean Grosjean, Élie Wiesel « et probablement d’autres ». « D’habitude, les plagiaires s’inventent des excuses. Si le plagiat avait été moins grossier, Bernheim aurait pu s’en sortir. Là, il n’avait pas le choix », commente Jean-Noël Darde.
Pour cet enseignant de l’université Paris VIII, qui s’intéresse surtout aux plagiats académiques, « le plus grave, c’est le mensonge » du grand rabbin. Et pas seulement le communiqué de dénégation. « A la sortie du livre, Gilles Bernheim a expliqué avoir un "fort désir d’écrire" qui le tient éveillé la nuit et a assuré que ses Méditations étaient de loin son oeuvre la plus personnelle », rappelle-t-il.
Deux ans plus tard, le grand rabbin a demandé à son éditeur de retirer l’ouvrage des librairies et de sa bibliographie. Il a également présenté ses excuses à Dolorès Lyotard, la veuve du philosophe, et à Elisabeth Weber, ainsi qu’aux autres auteurs plagiés et à ses lecteurs.
Gilles Bernheim, 60 ans, a été élu au grand rabbinat de France en 2008, succédant à Joseph Sitruk. Il avait également publié en 2008 Le rabbin et le cardinal (Stock) avec le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon. En décembre, le pape Benoît XVI avait cité son dernier essai, un argumentaire contre le mariage homosexuel. »
« L’autre mystère du Grand Rabbin Bernheim
Par Jérôme Dupuis (L’Express), publié le 05/04/2013 à 10:29, mis à jour à 11:42
Gilles Bernheim aurait-il usurpé son titre d’agrégé de philosophie ? Après les révélations sur ses "emprunts" littéraires, cette nouvelle question gênante fragilise un peu plus la position du Grand Rabbin de France.
Le Grand Rabbin de France, Gilles Bernheim, est-il agrégé de philosophie ? Toutes ses biographies l’affirment, sa notice du Who’s who également. Un ouvrage publié en 2009 par le Consistoire Central, et qu’il a préfacé, le présente comme "agrégé de l’Université". Et lorsqu’il a été décoré de la légion d’honneur, à l’Elysée, le 3 mars 2010, le président Sarkozy a rappelé, à deux reprises, admiratif, qu’il était "agrégé de philosophie". ?
Pourtant, selon nos informations, son nom n’apparaît dans aucune liste des reçus à ce concours, sans doute le plus prestigieux de l’Université française. Ses biographies précisent parfois que Gilles Bernheim l’aurait obtenu "très jeune", certaines prétendant même qu’il aurait été "major" - c’est à dire reçu premier. Le Grand Rabbin étant né en 1952, nous avons donc consulté, dans les archives de la Société des Agrégés de l’Université, tous les palmarès de l’agrégation de philosophie de 1968 à 1986. Pas la moindre trace de son nom. Selon nos informations, la mention de cette agrégation n’apparaîtrait pas non plus dans les fichiers administratifs du Ministère de l’Education nationale. ?
Gilles Bernheim aurait-il usurpé ce titre prestigieux, qui a beaucoup fait pour son aura intellectuelle au sein de la communauté juive, mais aussi au-delà ? "Ce genre d’usurpation est rarissime et, à vrai dire, je ne pourrais pas vous citer un seul autre cas", confie Blanche Lochmann, présidente de la Société des agrégés. Contacté jeudi matin par L’Express à ce sujet, Gilles Bernheim n’a fourni aucune explication. ?
S’il se confirmait, ce mensonge viendrait s’ajouter à la découverte récente des nombreux plagiats commis par le Grand Rabbin dans son ouvrage publié en 2011, Quarante méditations juives (Stock). Plagiats finalement reconnus par Gilles Bernheim et mis sur le compte d’un "nègre" peu scrupuleux. "C’est la seule et unique fois que je me suis livré à un tel arrangement", a-t-il tenu à préciser dans son communiqué en forme de mea culpa. ?
Pourtant, selon nos informations, on trouvait déjà deux pages plagiées dans son ouvrage Le souci des autres : au fondement de la loi juive (Calmann-Lévy), paru en 2002. C’est encore le spécialiste des plagiats Jean-Noël Darde qui a fait cette découverte. Cette fois-ci, le Grand Rabbin a emprunté des passages à l’ouvrage L’éloquence des larmes (DdB), de Jean-Loup Charvet. Et, là encore, Gilles Bernheim avait été averti dès hier que cette information allait filtrer. ?
Cette usurpation d’un titre d’agrégé et la découverte de ce nouveau plagiat sont-elles compatibles avec l’exercice d’un magistère moral tel que le grand rabbinat ? Seul Gilles Bernheim peut aujourd’hui répondre à cette délicate question. »
Tags : Religions Justice Judaïsme Manipulation
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