Hannah Arendt : leçon pour aujourd’hui sur le Totalitarisme et le contrôle des masses
Hannah Arendt est connue pour ses réflexions sur le totalitarisme, la liberté et la nature de l'action humaine. Nous aborderons ses travaux les plus marquants, notamment "Les Origines du Totalitarisme", "La Condition de l'Homme Moderne" et "Eichmann à Jérusalem".
- Qui était Hannah Arendt ? Découvrez son parcours de l'Allemagne nazie aux États-Unis.
- Qu'est-ce que le totalitarisme ? Une analyse des systèmes oppressifs du XXe siècle.
- La distinction entre travail, œuvre et action dans "La Condition de l'Homme Moderne".
- Les controverses autour de "Eichmann à Jérusalem" et le concept de la "banalité du mal".
Anthropologique[s]. | Hannah Arendt : leçon pour aujourd'hui (7:29)
(début de la vidéo) « « Les solutions politiques fondées sur la violence engendrent toujours les germes de nouvelles violences. Ce qui m'inquiète c'est que nous, Juifs, devenions les bourreaux des Arabes, que nous nous transformions en gens capables de commettre des violences envers des peuples opprimés. » La phrase date des années 40 et elle est de Hannah Arendt.
Aujourd'hui je vous propose de découvrir une des grandes figures des Sciences politiques du 20e siècle, plus que jamais d'actualité, c'est Hannah Arendt.
Née en 1906 et morte en 1975, Hannah Arendt a marqué la pensée moderne par ses analyses des structures du pouvoir, de la tyrannie, du totalitarisme et de la nature humaine.
Née à Hanovre, elle grandit à Königsberg où elle est formée entre autres par Martin Heidegger. De confession juive, elle fuit le nazisme en 1933. Elle se réfugie en France où elle aide des Juifs exilés à gagner la Palestine. En 1940 elle s'évade du camp où elle était internée. Elle parvient à se rendre aux États-Unis. Elle obtient la nationalité américaine en 1951, après être restée apatride pendant 18 ans.
Nourrie de ces expériences, elle devient une politologue convaincue que la vie est un combat permanent pour la liberté. L'originalité de sa pensée vient de ce qu'elle applique l'approche phénoménologique à l'analyse politique. Elle propose de penser les événements en décrivant les conditions de leur apparition. Elle propose de partir de l'expérience vécue des individus. Elle s'intéresse à la manière dont les choses se montrent et sont perçues.
Dans Les origines du Totalitarisme paru en 1951, Hannah Arendt explore les racines et les dynamiques des régimes totalitaires, en particulier ceux de Hitler et de Staline. Elle dépeint le totalitarisme comme une force qui broie l'individu, en utilisant la terreur pour obtenir non seulement la soumission, mais aussi la complicité active des gouvernés. Elle montre que ce qui a rendu possible le nazisme, c'est la conjonction d'une matière, l'antisémitisme, et d'une forme, la bureaucratie. Et tout ça s'est développé dans le cadre de la manipulation d'une masse atomisée par une idéologie visant à supprimer les conditions du débat démocratique. Hannah Arendt explique, je la cite : "le totalitarisme vise à organiser les innombrables et à coordonner leur action jusqu'à la perte de leur identité propre."
Concrètement, ça se passe en plusieurs phases :
- Isolation des individus
- Propagande et manipulation de la réalité
- Terreur et répression
- Mobilisation d'une idéologie qui prétend offrir une explication exhaustive de la réalité
- Destruction de la frontière public/privé
- Destruction des structures politiques et juridiques traditionnelles
Cette approche éclaire la manière dont ces régimes parviennent à impacter et à dominer tous les aspects de la vie personnelle et publique. Le but c'est d'initier une transformation totale de la société par la peur et par la manipulation idéologique.
En 1961, Hannah Arendt couvre pour le magazine le New Yorker le procès d'Adolf Eichmann, un haut fonctionnaire nazi qui a eu un rôle central dans l'organisation de la Solution finale. À cette occasion elle introduit le concept de banalité du mal. Selon Hannah Arendt, Eichmann n'était ni un monstre ni un fanatique, mais plutôt un fonctionnaire ordinaire, voire médiocre. Il était dépourvu de tout sens critique à l'égard de sa mission génocidaire. Il exécutait des ordres sans questionner leur éthique. Il était, je cite Arendt : "l'incarnation même de la banalité du mal, car il n'y avait en lui aucune inclinaison à penser, c'est-à-dire aucune profondeur."
Cette analyse a suscité un vaste débat sur les responsabilités morales, individuelles et institutionnelles, dans les contextes de gouvernance oppressive. Elle inspirera par la suite une réflexion très vaste sur la soumission à l'autorité, sur l'éthique et sur la morale.
Dans La Condition de l'Homme Moderne, paru en 1958, Hannah Arendt distingue trois activités humaines fondamentales : le travail, l'œuvre et l'action. Elle définit le travail comme l'activité nécessaire à la survie biologique et à la satisfaction des besoins vitaux. L'œuvre produit des objets durables, créant un monde artificiel distinct de la matière. l'action enfin désigne l'interaction entre les individus dans l'espace public. Elle est intimement liée à la parole.
Hannah Arendt valorise particulièrement l'action. Elle est, dit-elle, la seule activité qui se déroule directement entre les Hommes, sans l'intermédiation des choses ou de la matière. Arendt souligne l'importance de l'action collective et du discours comme moyen d'expression de la liberté et de la pluralité, essentiel à la démocratie. Elle s'inquiète de la toute puissance de la technique, qui tend à s'imposer comme la valeur principale qui motive nos choix. Elle est convaincue que l'homme n'est pas, comme le dit Marx, un animal laborans, c'est-à-dire un animal travailleur, mais plutôt, comme le définissait Aristote, un zôon politikon, c'est-à-dire un animal politique. Elle pointe le danger d'une vie réduite au cycle stérile de la production et de la consommation.
Hannah Arendt a développé une position nuancée et critique vis-à-vis de l'État d'Israël. Elle redoutait que la création d'un État juif, basé sur un modèle d'État-nation, conduise à des conflits interminables avec les populations arabes locales, et au final à l'isolement international. Elle s'inquiétait de la tendance à créer un État ethno-religieux, qui pourrait engendrer des pratiques discriminatoires à l'égard des Arabes vivant en Palestine, et compromettre les idéaux démocratiques. Elle soutenait l'idée d'un cadre fédéral pour la Palestine. Elle proposait une solution fédérale où Juifs et Arabes pourraient coexister dans un système politique partagé, respectant les droits et les aspirations des deux peuples. Elle pensait que cette structure fédérale pourrait servir de modèle pour surmonter les conflits nationaux et religieux en favorisant la coopération. Cette idée a été développée et elle est encore défendue par un certain nombre d'intellectuels juifs et arabes. On peut citer par exemple Martin Buber, Edward Saïd, Avraham Burg, ou Ali Abunimah. Alors, est-ce que c'est une bonne idée ? est-ce que c'est une mauvaise idée ? Ce n'est évidemment pas aux Sciences sociales de trancher. Par contre c'est aux Sciences sociales de contribuer à éclairer le débat.
Bref, pour conclure, on peut dire, je pense, que la contribution d'Hannah Arendt aux Sciences politiques a été déterminante. Elle a contribué à décrypter les mécanismes de domination et à mettre à jour les conditions de la liberté, y compris dans des contextes politiques extrêmes. Critique de la modernité, de la massification, défenseuse des traditions et des institutions, Hannah Arendt apparaît conservatrice par bien des aspects. Elle n'en est pas moins, par son style et l'audace de sa pensée, une philosophe particulièrement novatrice et plus que jamais d'actualité. » (fin de la vidéo, 7:29)
Pour approfondir :
Voix Philosophiques | Hannah Arendt - L'isolement est l'essence du Totalitarisme (12:42)
Les Origines du totalitarisme de Hannah Arendt, publié en 1951, analyse les régimes totalitaires du XXe siècle, notamment le nazisme et le stalinisme. L'ouvrage est divisé en trois sections : l'antisémitisme, l'impérialisme et le totalitarisme. Arendt explique que, bien que les régimes totalitaires puissent disparaître, les éléments du totalitarisme pourraient persister.
Elle écrit : « Les solutions totalitaires peuvent bien survivre à la chute des régimes totalitaires sous forme de fortes tentations qui surgiront chaque fois qu'il semblera impossible d'atténuer la misère politique, sociale ou économique d'une manière digne de l'homme. »
Arendt souligne que l'isolement social est essentiel pour la formation des mouvements totalitaires. Dans un régime totalitaire, toute la société, y compris ceux au pouvoir, est subordonnée à une idéologie unique, ce qui entraîne une domination totale sur chaque individu. Les idéologies, selon elle, sont déconnectées de l'expérience vécue, visent à contrôler l'histoire et insistent sur une "réalité plus vraie" derrière le monde perceptible.
Arendt examine les conditions sociales susceptibles de conduire un peuple à être totalement dominé par une idéologie :
- La société doit être fragmentée en individus isolés.
- Un leader charismatique avec un message puissant doit tenter de rassembler ce groupe morcelé à travers un récit de peur, tel que le terrorisme, l'immigration ou la guerre.
- Les droits naturels des individus doivent être affaiblis, les transformant en outils interchangeables.
- Il doit également exister une masse de personnes obéissantes et non réfléchies, prêtes à suivre les diktats de l'État sans remettre en question ses décisions.
Arendt distingue l'isolement de la solitude. L'isolement, imposé par les régimes totalitaires, transforme une expérience occasionnelle de solitude en un état permanent, coupant les individus de la connexion humaine et rendant l'action et la pensée impossibles. Ce processus prépare les masses à accepter et à soutenir les idéologies totalitaires, permettant aux régimes de maintenir un contrôle absolu.
(...) une fois l'isolement enraciné, la terreur aliénait l'individu impuissant du monde partagé de ses semblables, en utilisant des mensonges et de la propagande pour refaçonner la réalité, réécrire l'histoire et en empêchant l'action collective.
L'isolement est une sorte de paralysie qui menace la vie politique en rendant impossible aux individus de se rassembler, d'agir ensemble, de poursuivre une préoccupation commune.Elle écrit : « Dans un monde en perpétuel changement, incompréhensible, les masses étaient arrivées à un point où elles croyaient, en même temps, tout et rien, pensaient que tout était possible et que rien n'était vrai. »
(...) une fois que la pensée idéologique s'est enracinée, l'expérience et la réalité n'affectent plus la pensée. Au lieu de cela, l'expérience se conforme à l'idéologie dans la pensée.
Arendt soutient que la peur sous-jacente qui attire vers l'idéologie est la peur de la contradiction interne.
Cette peur de la contradiction interne est la raison pour laquelle penser est dangereux - car la pensée a le pouvoir de déraciner toutes nos croyances et opinions sur le monde.
Politikon | Hannah Arendt - Condition de l'homme moderne - De Dicto #4 (7:41)
Quatrième épisode de De Dicto sur Condition de l'homme moderne de Hannah Arendt (1906-1975) paru en 1958 sous le titre original de The Human Condition.
Parole de philosophe | La philosophie de Hannah Arendt (26:12)
L'homme essayerait-il désormais d'échapper à sa condition ? C'est pour répondre à cette question qu'Hannah Arendt publie, en 1958, "Condition de l'homme moderne". Dans cette vidéo d'introduction à Hannah Arendt, nous expliquerons les principaux concepts de sa philosophie : le travail, l’œuvre et l'action ; la sphère privée et la sphère publique ; l'essence du totalitarisme.
Replaçons ici, pour conclure, les principales caractéristiques d'un régime totalitaire, selon Hannah Arendt, pour mieux nous rendre compte qu'elles se retrouvent quasiment toutes en ce moment même, à des degés divers, dans des pays prétendument démocratiques et garants des libertés fondamentales et des Droits de l'Homme...
- Isolation des individus
- Propagande et manipulation de la réalité
- Terreur et répression
- Mobilisation d'une idéologie qui prétend offrir une explication exhaustive de la réalité
- Destruction de la frontière public/privé
- Destruction des structures politiques et juridiques traditionnelles
Tags : Livres - Littérature Politique Histoire Démocratie Droits de l’homme Israël Philosophie Culture Liberté d’expression Violence Manipulation
20 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON