L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme par Max Weber
Max Weber, sociologue et économiste allemand (1864-1920) est principalement connu pour son livre L' éthique protestante et l'esprit du capitalisme, ouvrage majeur s'il en est, permettant de comprendre une des clés du fondement de ce qu'on appelle le "capitalisme entrepreneurial" de type protestant. Voici le résumé de cet ouvrage proposé par la quatrième de couverture
" Max Weber décrit le grand bouleversement des Temps Modernes, la transformation dans les mentalités du rapport à l'argent et à la fortune. Aux consciences médiévales marquées par la parole évangélique selon laquelle 'il est plus aisé pour un chameau de passer par le chas d'une aiguille que pour un riche d'entrer dans le royaume de Dieu' (Marc 10, 25), le protestantisme affirme que l'homme est sur terre pour se livrer à des oeuvres terrestres, et que le succès de ses entreprises est le signe de la grâce divine. L'essor du capitalisme se fonde sur cette révolution des esprits, engendrée par la tourmente luthérienne (NA : en réalité, il s'agit bien plutôt de la tourmente "calviniste"). Max Weber est le premier à donner une explication spécifique de l'essor du capitalisme. A travers cette magistrale leçon de sociologie, il éclaire d'un jour nouveau notre civilisation"
Voici, à ce propos, un extrait d'une des vidéos d'Alain Soral, extrait consacré à sa rubrique "l'antisémite du mois", où il évoque le livre de Weber qui distingue le capitalisme de type productiviste en opposition au capitalisme de type financier. Dommage que Soral, même s'il a entièrement raison, selon moi, d'opérer cette distinction entre ces deux formes de capitalisme (distinction avec laquelle beaucoup se trouvent en désaccord sous prétexte que le capitalisme constituerait un seul et même processus) n'envisage cet ouvrage que sous le prisme du judaïsme (son sujet préféré) face au protestantisme. Car l'étude très approfondie de Weber permet de donner une des clés (parmi d'autres) de compréhension du capitalisme de type anglo-saxon par l'étude du protestantisme en général et du calvinisme ainsi que de tous les mouvements ascétiques en particulier.
1 - L’esprit du capitalisme
Max Weber commence son ouvrage par un constat, quant à l’étude sociologique liée aux "piétistes chrétiens" :
"Pour commencer, quelques aspects extérieurs : il est certainement remarquable de constater que nombre de représentants des formes les plus intériorisées de la piété chrétienne, notamment parmi les adeptes du piétisme, sont issus de milieux commerçants. On pourrait donc penser à une sorte de réaction de natures très sensibles, inadaptées à la vie commerciale, contre le culte de Mammon...Cependant, cette interprétation est insuffisante pour expliquer le fait que l’on rencontre dans les mêmes groupes un sens extrêmement aigu des affaires combiné avec une piété qui pénètre et domine la vie entière. Ces cas ne sont pas isolés, au contraire, ce sont des traits caractéristiques des Eglises et des sectes les plus importantes de l’histoire du protestantisme. Le calvinisme en particulier, partout où il est apparu, présente toujours cette combinaison."
Lorsqu’on pense au capitalisme anglo-saxon, on se le représente généralement au-travers de cette image d’Epinal de l’entrepreneur totalement cynique, cigare aux lèvres et dollars au vent, tel que nous le décrivent Les Guignols de L’info sévissant sur cette si belle chaîne que Marine Le Pen et Eric Zemmour ont très justement identifié comme "la chaîne des bobos". Or, à la lecture de ce livre, on en a une image radicalement différente, voire diamètralement opposée. Mais essayons tout d’abord de comprendre ce que Weber entend par " l’esprit du capitalisme" en citant Benjamin Franklin :
"Souviens-toi que le temps, c’est de l’argent. Celui qui, pouvant gagner dix shillings par jour en travaillant, se promène ou reste dans sa chambre à paresser la moitié du temps, bien que ses plaisirs, que sa paresse, ne lui coûtent que six pence, celui-là ne doit pas se borner à compter cette seule dépense. Il a dépensé en outre, jeté plutôt, cinq autres shillings...Souviens-toi que le crédit, c’est de l’argent...Souviens-toi que l’argent est, par nature, générateur et prolifique. L’argent engendre l’argent, ses rejetons peuvent en engendrer davantage, et ainsi de suite...Souviens-toi du dicton : ’le bon payeur est le maître de la bourse d’autrui’. Celui qui est connu pour payer ponctuellement et exactement à la date promise peut à tout moment et en toutes circonstances se procurer l’argent que ses amis ont épargné. ce qui est parfois d’une grande utilité. Après l’assiduité au travail et à la frugalité, rien ne contribue autant à la progression d’un jeune homme dans le monde que la ponctualité et l’équité dans les affaires."
Donc on s’aperçoit ici de l’importance accordée à la "bonne gestion de l’argent", de l’assiduité au travail, de la rigueur ainsi que de " l’équité". Il y a clairement une dimension "morale", car la morale, ou plutôt l’honnêteté sont utiles à cet esprit de capitalisme.
"Toutes ces admonestations morales de Franklin sont teintées d’utilitarisme. L’honnêteté est utile, puisqu’elle nous assure le crédit. De même, la ponctualité, l’application au travail, la frugalité : c’est pourquoi là ce sont des vertus"
La valeur "travail" est donc LA dimension centrale de cet esprit du capitalisme :
"En effet, cette idée particulière - si familière pour nous aujourd’hui, mais en réalité si peu évidente - que le devoir s’accomplit dans l’exercice d’un métier, d’une profession, c’est l’idée caractéristique de ’l’éthique sociale’ de la civilisation capitaliste ; en un certain sens, elle en est le fondement. C’est une obligation que l’individu est supposé ressentir et qu’il ressent à l’égard de son activité professionnelle...Car non seulement un sens élevé des responsabilités y est indispensable, mais de plus il y faut un état d’esprit qui soit libéré, au-moins pendant les heures de travail, de la sempiternelle question : comment gagner un salaire donné avec le maximum de commodité et le minimum d’efforts ? Le travail, au contraire, doit s’accomplir comme s’il était un but en soi - une vocation (beruf). Or un tel état d’esprit n’est pas un produit de la nature. Il ne peut être suscité uniquement par de hauts et de bas salaires. C’est le résultat d’un long, d’un persévérant processus d’éducation."
Quel est donc ce processus d’éducation (parmi d’autres bien sûr) qui conduit à placer, non pas l’argent, mais le travail comme un "but en soi" ? Penchons-nous maintenant sur la question de ce qu’on appelle " l’éthique protestante"
2 - Le Calvinisme ou la théologie de la "double prédestination"
Max Weber distingue 4 sources du protestantisme de type ascétique : Le Calvinisme, le piétisme, le méthodisme et les sectes issues du mouvement baptiste. La plus importante et la plus influente et qui constitue, en quelque sorte, la source première est bien entendu le calvinisme.Le mouvement calviniste repose sur ce qu’on appelle la théologie dite de la double prédestination énoncée lors de la Confession de Westminster en 1647, comme le rappelle Weber :
" Par sa chute dans l’état de péché, l’homme a complètement perdu la capacité de vouloir un quelconque bien spirituel lié à son Salut. De sorte qu’un homme naturel étant entièrement détourné de ce Bien, et condamné au péché, ne saurait de son propre fait se convertir ni même se préparer à la conversion. Par décret de Dieu, et pour la manifestation de sa gloire, tels hommes sont prédestinés à la vie éternelle, tels autres sont voués à la mort éternelle. Ceux parmi les hommes qui sont prédestinés à la vie, Dieu les a élus dès avant d’établir les fondements du monde, conformément à son dessein immuable de toute éternité ainsi qu’à sa volonté intime et à son bon plaisir...Les autres d’entre les hommes, il a plu à Dieu - conformément au dessein insondable par lequel, à son gré, il accorde ou refuse la miséricorde, pour la gloire de son souverain pouvoir sur ses créatures - de les écarter et de les destiner pour leur péché au déshonneur et au courrux ; et cela à la louange de sa glorieuse justice"
Cette (effrayante) théologie (qui fera dire à certains comme Milton "m’en coutât-il d’être expédié en enfer, jamais un tel Dieu ne m’imposera le respect") s’affirme comme une négation pure et simple de toute forme de libre-arbitre des humains, quant à la question du Salut. Celle-ci aura contribué de manière considérable à agir sur l’état d’esprit des croyants pour qui cette question centrale devait les hanter toute leur vie : "suis-je un élu ou un damné et comment faire pour le savoir ?".
A cette importante question donc, à laquelle Calvin lui-même se refusait à répondre expliquant qu’elle appartenait ’aux desseins éternellement caché de Dieu’, beaucoup de courants ascétiques y ont répondu :
"La vie du ’saint’ était exclusivement dirigée vers une fin transcendante : le salut. Pour cette raison précisément, elle était totalement rationalisée en ce monde, et dominée entièrement par ce but unique : accroître sur terre la gloire de Dieu. Jamais le précepte ’omnia in majorem Dei gloriam’ n’avait été entendu avec plus de rigueur. Seule une vie dirigée par une pensée constante pouvait réaliser le dépassement du status naturalis. Le ’cogito ergo sum’ de Descartes était repris à leur compte par les puritains de l’époque dans une nouvelle interprétation éthique. Rationalisation qui a donné à la piété réformée ses traits spécifiquement ascétiques et qui, du même coup, fondait sa parenté spirituelle avec le catholicisme, et son opposition spécifique à ce dernier... Contrairement à bien des idées répandues à ce sujet, il s’agissait de rendre l’homme capable de mener une vie alerte et intelligente ; tâche la plus urgente : anéantir l’ingénuité de la jouissance instinctive et spontanée ; moyen le plus puissant : mettre de l’ordre dans les conduites individuelles."
3 - Capitalisme rationnel VS capitalisme aventurier
Aussi surprenant qu’il n’y paraît au premier abord, à partir d’ une croyance irrationnelle (comme toute croyance) et terrifiante, les puritains adoptèrent un mode de vie ’rationalisé’ et déterminé par une éthique liée à la réussite professionnelle ainsi qu’une conduite "irréprochable", signes permettant de s’assurer de l’obtention de la grâce divine. Cette éthique protestante de type "rationnel" fut l’une des sources de ce capitalisme qualifié lui-même de "rationnel". Type de capitalisme que Weber place en opposition face au capitalisme de type "aventurier’ qu’il attribue, non pas au judaïsme dans ses fondements (ce que Soral se garde bien de préciser) mais à UNE forme de judaïsme, à savoir le pharisaïsme qui fut dominant dès le Moyen-âge puis à l’époque moderne :
" Ce n’est pas au judaïsme palestinien de l’époque où ont été composés les textes de l’Ancien Testament qu’il faut penser, mais au judaïsme tel qu’il est peu à peu devenu, après des siècles d’éducation formaliste, légaliste et talmudique, et encore est-il nécessaire de se montrer extrêmement prudent devant un tel parallèle. L’esprit du judaïsme primitif porté à une valorisation naïve de la vie en tant que telle, était dépourvu des caractères propres au puritanisme. De même il était fort éloigné - il convient de ne pas l’oublier - de l’éthique économique du judaïsme médiéval et moderne, et de ses caractéristique qui ont déterminé les positions du judaïsme et celles du puritanisme au cours du développement de l’ethos capitaliste. Le judaïsme s’est tenu du côté du capitalisme "aventurier", orienté vers la politique et la spéculation, en un mot son ethos était celui d’un capitalisme de ’parias’ ; le puritanisme soutenait l’ethos de l’entreprise bourgeoise rationnelle du travail. Il n’a emprunté à l’éthique juive que ce qui pouvait l’y aider."
Conclusion
Max Weber aura été un des premiers à effectuer cette corrélation entre capitalisme et éthique religieuse. Il précise toutefois que l’approche historique par le prisme religieux, tout comme l’approche exclusivement matérialiste ne suffisent pas à embrasser l’intégralité de la vérité historique. Mais laissons lui le mot de la fin :
"Fut-il pétri de bonne volonté, l’homme moderne est incapable d’accorder aux idées religieuses l’importance qu’elles méritent pour les conduites, la culture et le cractère national. Est-il nécessaire de protester que notre dessein n’est nullement de substituer à une interprétation causale exclusivement "matérialiste", une interprétation spiritualiste de la civilisation et de l’histoire qui ne serait pas moins unilatérale ? Toutes deux appartiennent au domaine du possible ; il n’en demeure pas moins que, dans la mesure où elles ne se bornent pas au rôle de travail préparatoire, mais prétendent apporter des conclusions, l’une et l’autre servent aussi mal la vérité historique"
Tags : Culture
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