La constitution des pirates des caraïbes
Charles Bellamy cité par Markus Rediker, dans "Pirates de tous pays :
Dès le XVIe siècle, les pirates ont instauré des systèmes d’institutions dont certains principes, comme l’assurance maladie, mirent des siècles pour être reprise dans les sociétés modernes.
Toutes ces institutions, les pirates ne les avaient pas créées de toute pièce : nombreux anciens bagnards, ils avaient pour certains vécus comme paysans avant la fin des commons ( terres communes ) et héritaient de cette tradition paysanne de mutualisation.
À cette tradition rurale médiévale s’ajoutait l’apport des cultures indiennes et africaines niant la propriété : face aux mutineries et à la désertion, la Navy se voyait poussée à recruter des Français, des Hollandais mais aussi des Amérindiens, Caraïbes ou Africains, lesquels fuyaient parfois vers les bateaux ayant levé le drapeau noir. Il y était accueilli au même titre que les Européens. Moins nombreuses, les femmes avaient également leur place à égalité avec leurs camarades marins.
L’équipage du capitaine Black Sam Bellamy comptait en 1717 huit nationalités, dont des Amérindiens, des quarterons et des esclaves affranchis ou échappés.
L’ émmergence du capitalisme anglais : la dictature impérialiste maritime
La ligne qui a séparé jusqu’au XIXe siècle la marine britannique et la piraterie est la suivante : d’un côté, les folles ambitions économiques des grands marchands anglais et, de l’autre, le refus d’une poignée de marins de servir de chair à canotage à cette dictature maritime qui sonnait le début du capitalisme.
À l’époque où commence l’aventure maritime de l’Angleterre, le pouvoir doit faire face à un phénomène nouveau : l’exode rural.
Avant même de les jeter dans les navires, la Couronne avait déjà commencé par jeter les pauvres à la rue en brisant le fonctionnement agricole traditionnel médiéval, basé sur l’usage de terres partagées (les commons), au profit de propriétaires terriens.
Or, au même moment, les nouvelles colonies usaient à l’exploitation des champs et à la traite des Noirs des milliers d’hommes chaque mois, qui mourraient soit en route, soit sur place. La monarchie décida donc de déverser les prisons dans les bateaux qui, par la dureté de la mer, avaient l’avantage de se vider bien plus vite.
Poussé par la concurrence avec la Hollande pour l’appropriation du Nouveau Monde, l’Angleterre promulgua successivement des lois de plus en plus dures pour les marins et les paysans expropriés.
En 1620, les révoltes se multiplièrent selon Rediker, trois quarts des marins recrutés de force périssaient dans les deux ans qui suivaient leur enrôlement. Et, parmi eux, seulement un cinquième mourrait pendant les batailles. Des conditions de vie qui poussaient des effectifs grandissants de l’autre côté de la loi de la Couronne, dans les bras des boucaniers et des pirates.
Institutions pirates
L’organisation pirate offrait une sorte de négatif des lois de la Royal Navy dans l’enceinte du bateau : au diktat d’un capitaine « imperator » ne répondant qu’aux ordres des actionnaires de sa compagnie, les pirates opposaient un chef ayant toute autorité pendant les batailles mais au pouvoir de dirigeant sévèrement encadré, ne disposant, par ailleurs, d’aucun privilège particulier : ses provisions et sa rémunération ne sont guère plus élevées que celles du reste de l’équipage.
On élisait le capitaine à une voix par tête, pouvant être démis de ses fonctions par le même suffrage, pour couardise, refus de pillage voire pour s’être trop comporté comme un gentilhomme !
Il doit partager ses prérogatives avec un quartier-maître, élu également. Tribun de la plèbe pirate, il est le nécessaire contrepouvoir à l’autorité du capitaine et prévient d’éventuelles tentations autocratiques en défendant l’équipage.
Celui-ci est chargé de la distribution des provisions, du partage du butin et de la résolution des conflits entre marins. Les quartiers-maîtres pouvaient être choisis comme capitaines, ils avaient donc tout intérêt à bien exercer leur fonction. Néanmoins, leurs pouvoirs de décision sont encadrés par des « constitutions » écrites dont le contenu est, là encore, défini de manière consensuelle par les marins.
Celles-ci fixent les règles de répartition des bénéfices et le montant des bonus pour les pirates les plus méritants, elles listent les comportements inacceptables, définissent les conditions d’indemnisation en cas d’accident du travail et établissent la sévérité des punitions en cas d’infraction au code commun. Les marins circulant entre les bateaux pirates, tous ont adopté le même genre de constitution afin de limiter le pouvoir discrétionnaire du quartier-maître.
Le quartier-maître était le seul à pouvoir convoquer l’Assemblée. Dans cette assemblée, chaque homme avait le droit à la parole et chaque membre de l’équipage, hormis les mousses et les marins pas encore totalement intégrés, avait une voix dans le vote tout comme le capitaine.
Dans certains équipages pirates, il y avait un conseil : une assemblée où uniquement les officiers et artisans pouvaient siéger avec quelques marins expérimentés.
Le quartier maître élu pouvait aussi faire entamer un procès contre le capitaine. Si le capitaine refusait le procès, il était reconnu coupable et était marronné sur une île le plus souvent.
Les règles à bord sont contenues dans un document signé par tout l’équipage : la charte-partie ou chasse-partie. Ce texte s’inspire du « contrat au tiers » de la flotte marchande, qui prévoit de répartir les profits entre les armateurs, les victuailleurs qui fournissent armes et matériel et les officiers qui avancent la maigre paie des marins. Sur un bateau généralement volé, les pirates sont tout cela à la fois et, sous le contrôle du quartier-maître, le partage du profit, des « prises », est relativement égalitaire. Les boucaniers avaient inventé le plafonnement des salaires !
De nombreux groupes de pirates partageaient les butins obtenus en suivant un schéma préalable : le butin pouvait être partagé de manière à ce que le capitaine reçoive tout au plus 1,5 fois ou 2 fois plus que les autres, mais jamais plus.
Autre originalité : une partie de chaque butin était versé à un fond servant à indemniser les victimes des duretés de la mer et leurs familles.
L’esclavage aboli , les noblesses arasées ,des tâches tirées au sort , le partage du butin plus ou moins égalitaire , la société pirate était bien plus démocratique que les nations modernes.
Bien sur ceci prend effet pour les pirates normaux mais par exemple Henry Morgan dirigeait tous lui même car l’équipage lui faisait entièrement confiance.
Autogestion pirate
Pour Marcus Rediker, « en expropriant un navire marchand, les pirates s’approprient les moyens de productions maritimes et déclarent qu’ils sont la propriété commune de ceux qui travaillent à son bord. Ils abolissent la relation salariale qui se trouve au cœur du processus d’accumulation capitaliste. Au lieu de travailler pour des salaires en utilisant les outils et la machine (le bateau) possédés par le marchand capitaliste, les pirates dirigent le navire comme leur propre propriété, et partagent équitablement les risques de leur aventure commune ».
Lorsqu’on lui demande « d’où vient le navire ? », le pirate répond crânement : « de la mer ! ».
Malgré son aspect marginal, la piraterie se mit en travers du processus d’accumulation capitalistique des premiers grands commerçants anglais. Sans être une révolution, elle s’est imposée comme une insurrection toujours avortée sans cesse renouvelée.
Bien qu’ils incarnent une menace évidente contre l’autorité, les pirates ne constituent pas une communauté unie dans la lutte permanente pour le renversement de l’ordre dominant. Lorsqu’une guerre éclate entre les puissances européennes, le pirate n’hésite pas à se faire corsaire et à donner une bonne part de son butin au Roi. On ne compte plus les pirates qui ont profité des nombreuses lois d’amnistie pour se ranger.
Certes marginale, critique et parfois menaçante, l’entreprise flibustière, s’insère néanmoins dans l’économie dominante, sans jamais la remettre en cause.
Extrait documentaire de national géographic sur le code des pirates :
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Sources :
Quand les pirates inventaient la démocratie et l’assurance maladie.
Note de lecture de Christian Chavagneux parue dans Alternatives économiques d’octobre 2007.
Tags : Histoire Culture Constitution
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