World War Z ou la géopolitique hystérique
Hollywood aura toujours ce petit plus que n’ont pas les cinémas européens ou asiatiques : le timing. Là où un cinéma français tergiversera de long mois ou années avant de surfer sur une vague médiatique (exemple : L’Emploi du Temps, L’adversaire, La Fille du RER...) pour souvent servir une reconstitution apologétique des rouages à défaut d’analyse des causes - le cinéma américain n’est pas à réactions mais bien un cinéma d’action. Au sens premier du terme.
L’action du Pentagone est militaire, celle d’Hollywood est culturelle. Les objectifs sont les mêmes : l’affirmation d’une suprématie.
De même qu’une frappe préventive de l’Etat Major sert à annihiler toute organisation d’une résistance ou toute préparation à un conflit, la “preemptive strike” hollywoodienne est mentale. Il s’agit de frapper les esprit avec des images fortes, simples, primales pour former un réservoir de fantasmes qui conditionneront la lecture des événements et des actions des autres organes de la machine impériale américaine : Shanon regarde “Le Jour d’Après” de Roland Emmerich, Shanon va à la pompe et fait le plein, Shanon culpabilise, Shanon accepte de payer une obscure “taxe carbone” pour se racheter... Homerun.
Des décennies de pratique ont permis à l’industrie cinématographique américaine d’exceller dans l’art du conditionnement en créant le pré-conditionnement : la bande-annonce. Voici donc :
Oh ok, un nouveau film de zombie... Oui. Mais là où beaucoup verront une resucée du déjà remake I Am Legend (les zombies, New York, la famille à protéger...) il s’agit en fait d’une adaptation qui se veut ambitieuse d’un non moins ambitieux roman fantastique aux accents géopolitiques et philosophiques (c’est ce que nous en dit wikipedia mais peu nous importe, nous somme là pour juger les images que l’on donne à voir sans informations préalables). Ce roman porte le même nom que le film : World War Z, le z étant celui de zombie. C’est ce qui nous est dit aussi. Soit.
Eugénisme et petite dentelle.
La thématique classique revient donc, il y a les contaminés, ceux qui ont passé le Styx, et les autres. Les autres ici : un bourgeois de l’upper East Side (Brad Pitt) et sa petite famille wasp frippée au Burberry for Kids de Madison Avenue. Le SUV familiale sent bon le cuir et le café torréfié du grande latte de la mère, qui ne détone pas dans ce camaïeu de brun, et nous renvoie aux soirs passés prés du feu dans leur lodge du Vermont... Bref, dans la grande tradition Hollywoodienne, tout un chacun se reconnaîtra forcément dans cette famille typique et s’attâchera de fait à leur sort.
Tout commence par le jeu, jeu de l’enfant, jeu innocent. Déjà l’ampleur globale de l’histoire est sous-entendue, on parle ici de plaines africaines... (On ne peut s’empêcher de voir en filigrane l’obssession de madame Pitt.) Le ton est enjoué, maniéré, bêtifiant - les vitres sont fermées, l’environnement éducatif est feutré et confiné... La reproduction sociale et politique se fera sans encombre.
Et puis l’incident arrive - un rétroviseur fauché par un policier à moto, rétroviseur dans lequel on ne voyait rien de tout façon, dans cette rue à sens unique où la circulation est arrêté. New York est à l’arrêt, la mise en mouvement sera violente. Brad sort pour voir de quoi il en retourne, l’agitation se fait au loin mais la maréchaussée (ou le T1000 ?) lui intîme l’ordre de rentrer dans son véhicule fissa car - patatra ! Le cirque s’emballe et les plugins d’effets spéciaux du logiciel Massive, ultra rentabilisés depuis la trilogie de Peter Jackson, tournent à plein régime. Nous ne sommes pas ici dans l’avant-garde visuelle, qu’on se le dise.
S’en suit une succession de plans montés dans le mouvement : gros plan de visages appeurés, mouvements de foules vue du ciel, manoeuvres de l’US Air Force... La géographie est d’emblée posée, la fuite ne doit pas se faire en surface, vers l’avant, mais vers le haut. Car c’est du ciel que les mouvements de foules sont lisibles, prévisibles et possibles à parer. Brad doit donc arrâcher sa famille aux tourments plébéens, et atteindre le toit d’un project du Lower East Side ou semblable (à confirmer à la vision du film).
Cette quête de hauteur est a mettre en parallèle à une série de plans nous résumant la situation mondiale : Brad Pitt, employé de l’O.N.U. (donc dénué de tout pouvoir) demandera à un officiel noir (donc dénué de tout pouvoir) à bord d’un hélicoptère de lui expliquer ce qu’il se passe. Il se passe donc que le monde est foutu. La jauge de mortalité tutoie les quatre milliards, partout des manifestations/hordes de zombies que la police tente avec bienveillance de contenir mettent les métropoles du monde à feu et à sang.
Cette quête de hauteur donc est nécessairement une volonté de s’extirper du tourment social : les images d’archives sont celles de protestants qui le temps d’un film deviennent ce qu’ils sont vraiment, une masse réfractaire et brutale dans son refus de cohabiter sur un même plan physique avec ceux qui la domine. Où sur terre trouve-t-on une situation semblable ? Un petit tour au pays qui a dix ans d’avance sur les USA :
http://edition.cnn.com/2010/WORLD/a...
(impossible de remettre la main sur le numéro de l’Effet Papillon ayant pour sujet le boom du transport par hélicoptère en réaction au traffic au sol et à l’insécurité à Sao Paulo)
La peur est écarlate. Et le software de FX Massive lui donne une forme qui habite les rêves angoissés de Brangelina : des masses indiscibles, sans visages, vêtues de loques et qui se jettent sur tout ce qui sort de la Michael Jordan Steackhouse ou qui sent la “french cologne”. L’exode qui s’en suit et cette flotte de réfugiés pose la question fatidique : on va où maintenant ?
Et bien le terrain a été défriché depuis bien longtemps, il est aujourd’hui investit de toute ses forces par intelligentsia et le complexe militaro-industriel américain : l’Afrique. Ce n’est pas le thème du film mais l’association d’idée se fait de suite entre le sous-entendu du SUV (les plaines d’Afrique) et cette peur Malthusienne du nombre : Brangelina, Clooney, Soros, Gates, Winfrey, Clinton et une tripotée d’huiles de la pensée impérialiste remixée à la sauce “Yes You Can” ont ces deux obsessions qui dessinent le programme des décennies à venir. Ces obsessions sont donc la surpopulation et ce qu’elle implique (surdéveloppement et impact climatique) et l’Afrique comme nouveau terrain d’influence disputé chaque jour plus âprement aux chinois et aux russes.
Revenons cependant à nos zombies car si c’est dans cette étroite fenêtre de spéculation que l’influence et les aspirations de Brad Pitt (producteur du film) se font sentir, pour l’essentiel, le propos réel de l’oeuvre est ailleurs.
Le djihadiste fou ou la théorie des lemmings.
Le propos est à trouver dans la trame du film et dans ces plans de combat qui parcourent la seconde partie du trailer. Michael Bay (et il viendra un jour où l’on reconnaîtra à Michael Bay le rôle intellectuel qu’il a joué, comme les sociologues le reconnaissent à MTV et aux jeux vidéos) déclara dans la publication American Cinematographer en 2001 que ce qu’il cherche à créer avant tout ce sont des images séminales. Des images qui font sens et qui marquent l’esprit. On est bien sûr en droit de douter de sa capacité à créer du sens mais l’homme sait, à force de travelling, de courte focales, de ralentis et de flare, créer des plans fluides qui flâttent l’oeil du spectateur nourri au clip. La règle est la même pour tout blockbuster qui se respecte, on doit nourrir sa bande-annonce en plans choc, assimilables en quelques secondes et qui concentrent en eux tout le scope, l’intensité et la force épique du film. Il faut donc penser ces plans. A l’avance.
Le plan du mur de séparation en Israel joue ce rôle. On imagine déjà d’ici le pitch du film résumé en une seule phrase, pas besoin de problématique, de high concept, de conflit... Juste cette image ultime qui habite l’esprit des mangeurs de pastramis de la côte est et des aficionados de sushis de la côte ouest : un tsunamis de corps imbibés de haine, prêt à se piétiner pour franchir le dernier rampart contre la barbarie, prêt à mourir... pour tuer.
Toute ressemblance avec des kamikazes est totalement fortuite...
Notre esprit abreuvé d’images fortes, “d’adrénalin shots” youtubesques, revoit instantanément ces images des printemps arabes sanglants, ces hordes bazanées qui se jettent comme un seul homme sur des troupes, des postes de police, des femmes (dédicace à la place Tahrir), des dictateurs déchus... pour les dépecer, charcuter, les yeux exhorbités en hurlant des professions de foi qui sonnent soudains comme des appels au meurtre. Et plus fortement encore revient cette image d’une violence incroyable, cette masse de manifestants qui prend à parti le véhicule d’un membre du gouvernement quand le chauffeur de celui-ci décide de s’extirper de cette situation pied au plancher... avec les conséquences qu’on imagine et que l’on peut observer ici : (âmes sensibles s’abstenir, il ne s’agit pas ici de plans réalisés avec Massive).
Comment en voyant ces images ne pas faire le rapport avec les vagues de gazaouis (habitants de Gaza) de World War Z ? Le même point de vue (depuis des hauteurs) la même clameur, la même panique... et tout s’éclaircit enfin. En se concentrant encore un peu, on comprend l’analogie dépeinte dans World War Z.
Mais pour ce faire, pour que l’analogie fonctionne, le postulat est celui-ci : les motivations de ces hordes doivent être incompréhensibles. Le fameux choc des civilisations. Le paradigme serait différent selon que l’on est un pauvre en occident ou un pauvre au moyen-orient. Le pauvre au moyen-orient a bien évidement les même aspirations que son comparse du nord, mais jamais celle-ci ne sont présentées comme telles, car ce serait dès lors reconnaître une légitimité aux éxigence de nos exclus à nous, pays développés. Au besoin, l’arabe au ventre vide, veut donc pour se le remplir la démocratie ou la charia, selon que ses dirigeants sont du bon ou mauvais côté du baton. Et ces masses informes donc vont et viennent comme des vagues de chair contractée sous le feu et les coups, s’entassant dans les ruelles, se piétinant, se jetant du haut des murs... comme des lemmings. Ces êtres totalement débiles qui habitaient le jeu vidéo culte des 90s tombaient par vague, se sautant dans le vide ou les flammes... Il convenait de les contenir, les guider, construire des murs pour les stopper, les dévier...
Sexy Tsahal
Bien sûr que non, la ressemblance entre les zombies et les kamikazes n’est pas fortuite. Elle est plus que sous-entendue, elle est l’argument du film. Un point essentiel du roman est la critique du comportement des gouvernements et de l’ONU face à la menace bactériologique à l’origine du phénomène zombie. Faux-semblants, double discours finissent d’aggraver la situation. Une seule nation fait face dès le début, reconnait la nature réelle de la menace et se place elle-même en quarantaine : Israel.
Une campagne de propagande avait fait son buzz il y a un an aux états-unis. Placardé sur des bus de San Fransisco, elle s’est étendue au reste du pays, portée par Pamela Geller, islamophobe militante. Elle résume très vulgairement la position d’une partie éloquente de l’opinion américaine, et dont les positions se radicalisent.
Le postulat de Max Brooks, l’auteur du roman, transpire en fait des les premier plans qui suivent l’explosion de violence à NYC. Brad Pitt et sa famille se frayent un chemin à travers la foule et montent à bord d’une caravane abandonnée. C’est là que la vraie quête du film débute, en parallèle du “survival movie”, il s’agit en fait d’un voyage, une rédemption par l’acceptation de ce qui doit être. La caravane est par essence un lieu de résidence mais à la particularité qui ne manque pas de résonner avec la thématique récurrente de l’intellectuel juif.
Nul part chez lui, toujours amené à fuir à un moment donné - qu’est-ce donc que ces vagues qui les poussent hors de la ville si ce n’est une métaphore des pogroms ? - l’aspiration réelle est posée : l’exode.
Et la trame du film est claire, elle mène le héros depuis les abords de Central Park jusqu’au vieux quartiers de Jerusalem... c’est une Alya, un retour en Terre Sainte. Mais cette thématique en soi n’a rien d’exceptionnel. Ce qui lui donne ici toute son ampleur, c’est la situation géopolitique. Il s’agit d’une guerre mondiale. Personne n’a su faire face à la menace sauf l’état Hébreu. On peut donc aisément conclure que la bataille finale aura lieu dans le seul endroit qui n’a pas encore été investit par les hordes.
La bande annonce s’arrête suffisamment longtemps sur un plan nous montrant le mont du temple, depuis le Mur des Lamentation jusqu’au Dôme du Rocher, théatre ici d’une bataille quasi biblique pour l’obtention de ces lieux. Brad Pitt se retrouve donc sur place, on le voit parcourir les ruelles de la vieille ville où des hordes de palestiniens se jettent sur lui et sa maîgre escorte - de courageux soldat de Tsahal.
Arrêtons-nous maintenant sur le code des couleurs. New York : chemise noire à col Mao, Brad porte le deuil d’une Nation à l’agonie, sans énergie intellectuelle et dont le mouvement n’est que l’ombre de ce qu’il fût, nerveux comme celui de millions de poulets sans tête...
La deuxième tenue portée par Mr Pitt est celle de la Terre Sainte. Le code est celui des lieux : T-Shirt à manche longues bleu et foulard à mille lieux du kefieh, gris et sobre. Le tout se marie parfaîtement avec les tenues de l’Israeli Defense Force et leur permettent de ressortir sur les tons terre des ruelles et hordes poussièreuse. Brad retrouve des couleurs en embrassant le seul idéal qui aura supporté cette ultime épreuve mondiale, un idéal qu’il a d’ailleurs très probablement critiqué (en tant qu’employé de l’ONU http://www.lepoint.fr/monde/israel-se-fache-avec-l-onu-26-03-2012-1445291_24.php) et dont il se doit aujourd’hui de reonnaître l’aspect salutaire, véridique et oserait-on, prophétique.
En conclusion, il est très difficile de déceler une quelconque distance entre le propos du roman, de la bande-annonce (oui, laissons au film le bénéfice du doute...) et les discours de l’AIPAC, le lobby pro-israélien à Washington. World War Z n’est certainement pas le premier film à défendre l’idée d’un choc des civilisations, mais ce film semble porter en lui quelque chose de plus, et surtout à un moment critique. Il propose une solution à cette question du choc, il préfigure ce qui dans les années à venir prendra toujours plus d’ampleur : la décomplexion d’un sionisme prophétique s’appuyant sur un conditionnement des opinions non plus tourné vers une idée de choc des civilisations, mais vers l’acceptation même d’un conflit ouvert avec le monde arabe.
World War Zion ?
Christopher Lâche.
Tags : Cinéma Israël Palestine
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