Comprendre un monde qui change : Internet et ses enjeux
Conférence de Benjamin Bayart, 8 novembre 2013
Benjamin Bayart est expert en télécommunications et président de la Fédération FDN (French Data Network, le plus ancien fournisseur d’accès à Internet en France encore en exercice).
Dans cette conférence, Benjamin Bayart explique comment internet restructure la société et quels profonds bouleversements vont en découler. En fait, il ne s’agit pas de comprendre le réseau de façon technique, mais la société qui vient.
Trois parties dans cette conférence :
Les définitions :
La partie la plus ennuyeuse de la conférence, à écouter attentivement pour les geeks, d’une oreille distraite pour les intéressés et à zapper pour les autres … jusqu’à la 20 ème minute.
Benjamin Bayart nous explique alors « ce qu’est internet ». Le réseau internet n’est pas un réseau de diffusion, un réseau de communication ou un média mais tout cela à la fois.
A la fin de la 29 ème minute nous est expliqué le cycle de croissance de l’internaute. En fonction du temps passé sur le réseau, l’internaute passe par plusieurs stades successifs : acheteur, kikoolol, lecteur, râleur, commentateur, auteur, animateur. A écouter attentivement, beaucoup d’internautes reconnaitrons leur propre évolution.
Les changements économiques
Abordées de 1 h 08 minute pendant exactement 20 minutes.
La transformation de l’appareil de production implique une transformation de l’organisation sociale de la production.
La nouvelle révolution industrielle que représente le numérique impulsera beaucoup de changements du point de vue :
- de la conception : 90 % de la conception se fait déjà par ordinateur et est automatisée.
-de la production : les gains de compétitivités du numérique ne se traduit pas par de la croissance. L’informatisation permet de produire plus en travaillant moins ce qui nécessite une réorganisation des structures économiques.
-de la relation client
Les changements sociopolitiques
C’est la partie la plus passionnante de la conférence.
L’homme est un animal fondamentalement social. Les fonctions sociales dans l’être humain font partie des fonctions vitales.
Benjamin Bayart a une approche interactive et atomistique de la socialisation, la société serait comme produit de l’influence des individus entre eux. Internet change la façon dont les individus communiquent, internet change donc la société.
Il y a eu la société de l’écriture manuscrite qui a permit le passage de la préhistoire à l’histoire, puis la société que l’imprimerie a formée qui est l’un des facteur clés dans le passage du Moyen-âge à la Renaissance et enfin, il y a Internet, qui change beaucoup plus profondément les tissus sociaux que la télévision.
Le lien entre la renaissance et l’imprimerie n’est pas un simple lien de causalité : ce n’est pas parce que l’imprimerie a été inventée qu’il y’ a eu la renaissance. C’est parce que la société a eu besoin de changer qu’elle avait besoin de se doter d’un outil pour diffuser le savoir.
Cette société en transformation a nécessité une théorisation, ce sont les lumières. La réforme est elle-même une fille directe de l’invention de l’imprimerie et a eu pour conséquence la guerre des religions.
Les changements en cours impulsé par internet sont tout aussi importants.
Quelques changements élémentaires :
-Il existe pour les internautes la possibilité de lire des informations de sources distinctes. Les médias traditionnels n’ont plus le monopole de la construction de l’opinion.
-Il existe la possibilité de s’exprimer par écrit publiquement, (laisser un commentaire sur internet est une expression publique). Il y’ a quelques décennies, ce privilège n’appartenait qu’à une petite minorité d’individus.
- L’imprimerie, c’est un éditeur qui juge que l’écrit est suffisamment important pour être publié et qui le diffuse vers des lecteurs n’ayant pas eu leur mot à dire dans cette décision. C’est un monde vertical. Alors qu’avec Internet, tout le monde publie, et lit qui veut bien lire. Le modèle est ainsi totalement horizontal.
Internet (comme imprimerie et l’écriture) n’est pas apparue par mégarde. Lorsque l’on analyse la culture, le milieu social, le parcours scolaire de ceux qui l’ont fabriqué, on se rend compte que la dimension anarchique et incontrôlable d’internet était recherchée. Le modèle de développement d’Internet est d’être totalement acentré. Il n’y a pas de centre, pas de partie plus importante ou par principe plus grosse que les autres, afin de rendre l’ensemble indestructible. Les échanges y sont normalisés de manière à préserver une grande hétérogénéité.
Ainsi émerge une conception horizontale de la société basée sur la transparence, sur la liberté d’expression, sur le fait que chacun puisse prendre part à l’administration.
Par la liberté d’expression qu’il permet, par son fonctionnement horizontal qui fait qu’ un ministre n’aie pas plus de poids sur la toile qu’un citoyen lambda, par son anonymat possible , Internet remet profondément en question le modèle vertical de la télévision, des médias traditionnels et du pouvoir politique.
Les alternatives de l’ancien monde : s’adapter ou disparaitre
L’imprimerie a participé activement à la renaissance, à la réforme et aux révolutions Européennes du XVII ème et du XVIII ème siècle. Ces transformations ne se sont pas faites sans heurt, il y’ a eu au passage de très pittoresques bains de sang. Selon Benjamin Bayart, il n’y a pas de raison pour que les changements liés à internet soient moins violents.
Le pouvoir politico médiatique peut prendre acte de ces changements et s’adapter en conséquence. Seulement il ne les comprend pas. D’abord parce qu’il y a une évidente fracture générationnelle : chez les plus de 50 ans, il n’y a pas grand monde pour comprendre ce qu’est Internet, quelques personnes tout au plus. S’y ajoute un problème de compréhension instinctive de ce qu’est le réseau, d’avoir tellement intégré les pratiques du réseau qu’elles deviennent normales : c’est le cas aujourd’hui d’à peu près tous les moins de 25 ans. À l’inverse, les politiques n’y comprennent rien.
Lorsque le pouvoir arrive à comprendre ces changements, il décide de les combattre frontalement. Internet forme une génération de citoyen qui ne croit pas tout ce que les médias traditionnels leur disent, qui a l’habitude de commenter, de débattre de façon cohérente (ou non) et contradictoire par écrit et en public, ce qui constitue un danger évident pour les classes dirigeantes.
On peut expliquer l’affaire de la quenelle dans laquelle on a vu les politiques et les médias réagir de façon totalement irrationnelle, disproportionné et grotesque par ce phénomène : un rejet profond pour ce nouveau monde qualifié d’égouts et qu’il faut cadenasser.
Le pouvoir peut aussi en prendre le contrôle. Les récentes affaire wikileaks, Snowden, PRISM, lustre sont des marqueurs majeurs de l’échec des sociétés démocratiques pour Benjamin Bayart. La centralisation des services internet sur un certain nombre de plate forme est un vrai problème politique, PRISM n’est possible qu’à cause des grandes plateformes centralisée (ex : facebook).
Internet est censé être un réseau décentralisé passif de transports d’informations, s’il cesse d’être cela, celui qui détient le centre détient du pouvoir politique.
A vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitable les révolutions violentes.
Il existe pour Benjamin Bayart des solutions légales pour cadrer juridiquement la liberté sur internet en garantissant :
1. La neutralité des intermédiaires techniques : l’opérateur est celui qui fabrique un petit bout du réseau internet et qui le gère. Un réseau neutre transporte un contenu à destination. Lorsque l’opérateur n’est pas neutre, et qu’il empêche d’accéder à certains contenus, la réalité est déformée. C’est de la censure.
La liberté d’expression n’a de sens que s’il existe la liberté d’accès à l’information. Il ne peut pas y avoir de société démocratique sans liberté de la presse. De même il ne peut pas y avoir de société ouverte et démocratique dans laquelle il n’y a pas une contrainte pénale envers les intermédiaires techniques leur imposant une obligation de neutralité.
2. La responsabilité des intermédiaires techniques : L’ auteur des propos illicites et l’ éditeur de ces propos doivent être responsable du contenu mais pas l’ hébergeur (du moment qu’ il se contente d’ héberger , en contre partie , il est obligé d’ héberger sans contrôler sinon , c’est un éditeur et il devient responsable ).
Se pose également la question de la police du net. On demande pour le moment aux moteurs de recherche de censurer ce qui contrevient à la loi, ils deviennent donc, en plus de leur puissance financière, juge et policier sur leurs terres. Il n’ ya plus de séparation des pouvoirs.
3. L’anonymat : la possibilité d’être anonyme est bien une liberté fondamentale
Si le pouvoir politique n’accompagne pas ces changements en douceur juridiquement, de gros risque pèseront sur les libertés fondamentales et les citoyens seront dans l’obligation de s’armer virtuellement contre leur gouvernement et d’entrer en résistance pour déclencher un rapport de force qui soit suffisamment couteux pour le faire reculer.
Cette solution est brutale : Il s‘agit de faire des chiffrements dont on ne donne aucune clé à aucun gouvernement .Et par cela même, cette option permettra la diffusion des outils qui permettrons aux pédophiles de vivre en paix et aux terroristes de planifier des attentats tranquillement.
La situation est binaire : c’est chiffré et solide ou ce n’est pas chiffré et pas solide, il n’y a rien entre les deux : ce que PRISM peut ouvrir la police peut le faire et inversement car précisément ce que fait PRISM, c’est de collecter massivement des informations ce qui devraient être réservées aux quelques cas investigations policières sous contrôle de juges. Si les citoyens se dotent d’outil pour échapper à PRISM, les criminels utiliseront les mêmes outils pour échapper aux services de police.
Conclusion
Selon Benjamin Bayart, les classes dirigeantes se retrouvent face à cette alternative : accompagner pacifiquement le changement de structures sociologiques et psychologiques de notre époque ou alors les combattre et déclencher la guerre.
« Art. 11. de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen : La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ».
Internet a rendu cet article 11 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen effectif, gageons que nos gouvernements sauront les respecter.
Ce n’est pas aux citoyens de craindre leur gouvernement et d’être contrôlé par lui, mais c’est aux gouvernements de craindre les citoyens et d’être contrôlé par eux. Si les peuples sont incapables d’obtenir des gouvernements raisonnables par des voies électorales, c’est qu’ils sont en tyrannie et qu’ils doivent s’en protéger.
Source : Taker
Tags : Internet Benjamin Bayart
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