Dans notre société, ceux qui sont le mieux éclairés sur l’événement sont aussi ceux qui sont le plus éloignés de voir le monde tel qu’il est. En général, mieux on comprend, plus on se leurre, plus on est intelligent, moins on raisonne sainement. On en trouvera une illustration sans équivoque dans le fait que l’hystérie guerrière augmente avec le niveau social. Ceux qui ont l’attitude la plus sensée vis-à-vis de la guerre sont les peuples-sujets des territoires disputés. Ils la tiennent pour une calamité continuelle qui roule sur leur corps dans son flot à la manière d’une lame de fond. L’identité du vainqueur leur indiffère totalement. Ils ont conscience que le changement de seigneur signifie simplement qu’ils vont continuer à assurer les mêmes tâches pour de nouveaux maîtres qui les traiteront comme les anciens
Les masses ne se révoltent jamais de leur propre mouvement, et elles ne se révoltent jamais par le seul fait qu’elles sont opprimées. Aussi longtemps qu’elles n’ont pas d’élément de comparaison, elles ne se rendent jamais compte qu’elles sont opprimées.
Le discours politique est destiné à donner aux mensonges l’accent de la vérité, à rendre le meurtre respectable et à donner l’apparence de la solidarité à un simple courant d’air.
Ainsi, à travers l’histoire, une lutte qui est la même dans ses lignes principales se répète sans arrêt. Pendant de longues périodes, la classe supérieure semble être solidement au pouvoir. Mais tôt ou tard, il arrive toujours un moment où elle perd, ou sa foi en elle-même, ou son aptitude à gouverner efficacement, ou les deux. Elle est alors renversée par la classe moyenne qui enrôle à ses côtés la classe inférieure en lui faisant croire qu’elle lutte pour la liberté et la justice. Sitôt qu’elle a atteint son objectif, la classe moyenne rejette la classe inférieure dans son ancienne servitude et devient elle-même supérieure. Un nouveau groupe moyen se détache alors de l’un des autres groupes, ou des deux, et la lutte recommence.