Ainsi parlait Zarathoustra
Il est peu d’œuvres philosophiques aussi populaires qu’ « Ainsi parlait Zarathoustra » mais il en est peu qui aient donné lieu à autant d’interprétations fondamentalement divergentes.
C’est peut être le sens même de ce livre, de susciter autant d’adhésion ferventes que de répulsions véhémentes et pourtant de rester toujours neuf, toujours à réinterpréter, quitte à faire apparaitre toutes les interprétations comme autant de contre sens.
« Ainsi parlait Zarathoustra » remet l’homme en question et en cause.
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Genèse
Nietzche raconte dans « Ecce homo » la naissance d’Ainsi parlait Zarathoustra, il en a eu dit il la vision soudaine et éclatante. La fulgurance de cette vision explique la rapidité extraordinaire de la composition : l’œuvre lui est venue tout entière en quelques jours dans un état d’exaltation indescriptible.
« On entend, on ne cherche pas, on prend, on ne demande pas qui est celui qui donne ; comme un éclair une pensée jaillit, nécessaire, sans hésitation dans sa forme, je n’ai jamais eu un choix à faire ». Nietzche dans « Ecce homo »
Ainsi parlait Zarathoustra est comme la charnière de l’œuvre de Nietzche, a mainte reprise d’ ailleurs il reviendra dessus : « J’ai donné à l’humanité le livre le plus profond qu’elle possède, mon Zarathoustra »
« Je lis Zarathoustra : mais comment ai-je bien pu jeter de la sorte mes perles aux Allemands ? »
Gide commentera : « Oui, Nietzche démolit, il sape mais ce n’est point en découragé, c’est en féroce ; c’est noblement, glorieusement, surhumainement, comme un conquérant neuf violente des choses vieilles ».
Un livre pour tous et pour personne
Le Zarathoustra n’a jamais rien de calculé, de construit, on y trouvera jamais aucun édifice théorique ou doctrinaire et c’est là l’originalité essentielle de l’œuvre.
La philosophie de l’œuvre est très exactement l’inverse d’une doctrine, il n’est pas possible de la fixer ou de la définir, elle est à elle-même à tout instant son propre avenir.
Le sens profond de l’œuvre est peut être de tenter de découvrir précisément non seulement des voies nouvelles mais des voies indépendantes de tout système de référence et d’adhésion, de toute soumission à tel ou tel impératif, de toute appartenance à tel ou tel ensemble.
Par là même, la pensée de Nietzche dans Zarathoustra n’ est pas une pensée démocratique , ni même aristocratique , c’ est évident , mais elle prépare à la pensée de l’ homme des voies si délibérément nouvelles et autres que toutes les idéologies contemporaines ne pourront apparaitre que comme des vieilleries figées , comme les ultimes prolongement du fameux « Dieu est mort ».
La nature même d’Ainsi parlait Zarathoustra est de constituer une menace, un redoutable danger pour toute pensée servile et serve, renonçant à elle-même et à sa liberté fondamentale selon les nécessités de tel ou tel impératif idéologique.
En donnant à « Ainsi parlait Zarathoustra » le sous titre « un livre pour tous et pour personne », Nietzche d’avance récusait ceux qui se réclamaient de l’œuvre.
Le personnage « Zarathoustra »
Depuis l’âge de 30 ans, Zarathoustra médite seul en montagne, en compagnie de son serpent et de son aigle. Il descend dix ans plus tard, auprès des hommes pour leur prêcher la vérité conquise.
Souvent, il apparait aux cotés de personnages épisodiques ou de ses animaux mais tous n’ont qu’une existence quasi immatérielle.
Zarathoustra n’ est non pas une figure de chef, de maitre ou de gourou , mais est l’ incarnation du rebelle , celui qui veut être véridique , délivré du conditionnement social et des valeurs morales du monde , il incarne la différence libératrice , il dit pour cette raison : « je suis Zarathoustra , l’ impie , le sans –Dieu ».
Parce qu’il est un esprit libre, Zarathoustra enseigne que la liberté de l’esprit n’est pas un confort mais une grandeur que l’on doit vouloir et que l’on ne peut obtenir que par une lutte épuisante.
D’ où l’importance attachée par Zarathoustra à la volonté, tel est son leitmotiv : rejeter tout ce qui n’est pas voulu, conquis comme tel, tout ce qui est subi, c’est le sens du fameux « deviens celui que tu es ».
Le mysticisme athée de Zarathoustra n’est pas abandon mais exaltation et création, il est dimension de désir et non abandon à quelque chose.
Et voici l’essentielle leçon de Zarathoustra, ce qui lui donne tant de passion, de ferveur, de générosité, la cause ultime de la véhémence et de l’exaltation qui l’habite : vouloir libère.
Zarathoustra ne mène personne nulle part, il enjoint à ses disciples de se défier et de s’éloigner de lui, de ne pas le vénérer ou de faire de lui une idole. Tel est la raison pour laquelle il ne cesse à la fois d’accueillir et de rejeter ses disciples : il n’a rien à leur dire vers quoi ils ne puissent aller eux-mêmes.
C’est peut être là l’aspect le plus actuel du livre : cet effort pour retrouver en l’homme l’accès à lui-même .L’ individualisme de Zarathoustra n’a pas d’autre sens, il est désir, soif, appétit de soi même.
Contre tout ce qui est abdication de soi même, Zarathoustra proclame la valeur du « je », mais tel qu’il doit se constituer lui-même, et c’est là qu’il faut en venir au thème central de l’œuvre : le surhumain.
De la voie du créateur
Le surhumain
Galvaudé et perverti, le mot « surhomme » évoque quelque malabar invulnérable sur qui les balles ricochent.
C’est de surhumain qu’il s’agit chez Zarathoustra, étape future vers laquelle l’homme doit par sa volonté et son effort se porter lui-même. Le surhumain est plus une allégorie qu’un type : il n’est personne et personne ne sera jamais lui, il représente l’affranchissement de toutes les contrainte : je suis de n’être rien.
Le surhumain n’existe pas : toujours futur, c’est celui qui « va par delà », celui qui s’en va de l’homme tel qu’il fut, tel qu’il est et tel qu’il sera.
Le surhumain n’est pas une finalité future, un but vers lequel certains hommes élus seraient appelés, mais il est actuellement effort futur, surpassement continuel par lequel l’homme doit se surmonter sans cesse et radicalement récuser le carcan des lois des obligations, des devoirs que dès le berceau on lui a imposés comme s’ils faisaient partie de lui-même.
« On nous met presque dans notre berceau déjà, des mots et des valeurs pesants : bien et mal. »
Si toutes les valeurs se trouvent dénoncées tour à tour , ce n’ est pas pour leur en substituer d’ autres mais pour affirmer que rien n’ est jamais arrêté , définitif , certain , tout n’ est que stade provisoire. Dans le domaine moral surtout, il n’est personne pour détenir la morale de personne. Toutes certitudes est toujours comme telle remise en cause, la pensée doit se faire création permanente en opposition avec tout ce qui est fixé, établi, définitif ou acquis.
Dans son dynamisme et son renouveau perpétuel, le surhumain ne pourra être que par delà le bien et le mal.
L’éternel retour
A tous égards et toujours, le « Ainsi parlait Zarathoustra » sera danger et ce n’est pas tant ce que dit ce livre qui importe que cette insécurité née de lui. La provocation qu’il contient n’est pas là pour déblayer le terrain et préparer une philosophie nouvelle qui vieillirait à son tour mais pour se conserver comme telle dans sa pérennité interdisant à la pensée tout repos : il n’y a de centre nulle part et partout, tout se brise, tout est redisposé, éternellement se construit la même maison de l’être, tout se sépare, tout se retrouve, éternellement reste fidèle à lui-même.
C’est l’éternel retour, cet éternel recommencement par lequel l’homme éternellement se dépasse et par là même se retrouve. Cette remise en question constante, ce désir d’aller par delà l’homme, d’être néant et totalité à la fois, donne naissance à l’insécurité et à l’effroi, il est vrai. Mais il faut porter du chaos en soi pour donner naissance à une étoile dansante.
Les trois métamorphoses de l’esprit
Sources :
George Arthur Goldschmidt
Tags : Philosophie
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